Incursion ukrainienne en Russie: pourquoi cette contre-attaque surprise peut être un tournant dans la guerre
Un tournant surprise dans une guerre d'usure? Depuis plus d'une semaine, les forces de Kiev se sont engouffrées dans la région de Koursk, en Russie, prenant les troupes du Kremlin au dépourvu et réalisant la plus grande incursion d'une armée étrangère sur le sol russe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le commandant de l'armée ukrainienne, Oleksandre Syrsky, a revendiqué la conquête par ses soldats de 1.000 kilomètres carrés en Russie. Le Kremlin reconnaît lui avoir perdu une zone de 40 kilomètres de largeur et de douze kilomètres de profondeur.
Selon des calculs réalisés par l'AFP ce mardi 13 août, les troupes ukrainiennes ont plutôt avancé de 800 kilomètres carrés dans la région de Koursk, alors que la Russie a progressé de 1.360 kilomètres carrés en territoire ukrainien depuis le 1er janvier.
Une progression rapide et inattendue
Cette progression fulgurante continue ce mercredi d'après Kiev. "Nous continuons de progresser dans la région de Koursk. Depuis le début de la journée, nous avons parcouru entre un et deux kilomètres dans différentes zones", a assuré Volodymyr Zelensky sur Telegram.
Dans la région voisine de Belgorod, le gouverneur Viatcheslav Gladkov a décrété l'état d'urgence en raison de bombardements des forces ukrainiennes.
"Notre but, c’est de créer la panique dans l’armée russe, a confié à nos confrères du Monde le commandant du 225e bataillon. Et les résultats s'observent déjà: C’est le chaos total."
Plus de 120.000 habitants ont déjà fui les zones de combat, selon les autorités russes. Pour le moment, au moins 12 civils ont été tués et plus de cent ont été blessés.
La stratégie militaire derrière la hausse du moral des troupes
D'après le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense de BFMTV, cette contre-attaque constitue "un tournant", alors que "le printemps a été extrêmement difficile pour les Ukrainiens".
"Le moral des Ukrainiens sort renforcé de cette offensive", a-t-il déclaré sur notre antenne.
Un regain d'espoir confirmé sur le terrain au Monde par un soldat ukrainien d'une unité de reconnaissance: "Il y a encore une semaine, les gens étaient déprimés. Mais aujourd’hui, le moral est monté d’un cran."
L'offensive est également l'illustration d'une stratégie militaire de Kiev, épaulée depuis février 2022 par ses alliés occidentaux. Selon l'historien militaire Cédric Mas, elle est "la nouvelle confirmation de la baisse de qualité générale des forces armées russes qui ont perdu leur savoir faire et de la montée en compétence offensive de la part des Ukrainiens."
"Les Ukrainiens prennent les Russes sur leur point faible, a-t-il expliqué sur BFMTV. Ils sont incapables de faire face à une guerre mécanisée, mobile, de harcèlement, de groupes tactiques très rapides."
Le lieutenant-colonel Guillaume Ancel, ancien officier de l'armée française, a lui avancé sur BFMTV que la guerre entre l'Ukraine et la Russie était entrée dans "une nouvelle phase". "Jusqu'ici, on avait l'impression que la guerre en Ukraine était la chronique annoncée d'un échec dans le Donbass. Désormais, c'est l'Ukraine qui reprend l'initiative et qui déplace cette guerre sur le territoire russe."
Une progression symbolique?
Si les Ukrainiens ont pris plusieurs localités russes, tous les spécialistes s'accordent à dire que l'ambition de Kiev n'est pas d'y rester à long terme. Outre déplacer des forces russes épuisant l'armée ukrainienne dans le Donbass, l'offensive peut devenir un véritable levier de négociations.
Un porte-parole de la diplomatie ukrainienne, Guéorguiï Tykhy, a par exemple promis que l'offensive s'arrêterait si Moscou acceptait les conditions posées par l'Ukraine. Or, les négociations entre les deux belligérants sont bloquées en raison des exigences de chaque camp, jugées inacceptables par l'autre.
"La difficulté est de savoir jusqu'où aller pour ne pas perdre tout le bénéfice de cette offensive", a tempéré le général Pellistrandi, mentionnant le risque d'un encerclement des soldats ukrainiens après avoir trop progressé.
Cédric Mas, quant à lui, a tenu à "relativiser ces succès" d'un point de vue militaire. "Les Ukrainiens ont tapé dans un vide, a-t-il rappelé sur notre antenne. Ils ont très rapidement pu percer les deux lignes de défense et exploitent cette percée réalisée en quelques heures."
Et de poursuivre: "L'état-major ukrainien prend ces avantages. Il va continuer à infliger des pertes. Il n'y a aucun autre objectif dans cette zone à part le camouflet politique. Cette stratégie, pour l'instant, fonctionne."
Le "dilemme" pour Poutine
S'exprimant pour la première fois sur le sujet, le président américain Joe Biden a estimé ce mardi que cette percée ukrainienne "crée un vrai dilemme pour (le président russe Vladimir) Poutine".
Le lieutenant-colonel Guillaume Ancel va même plus loin : "C'est une véritable humiliation pour Poutine."
D'autant plus que Kiev assure avoir capturé "plus de 100 militaires russes" en une semaine. L'AFP a photographié ce mercredi, dans la région de Soumy, des blindés ukrainiens s'amasser près de la frontière et, dans le sens inverse, un véhicule transportant environ 10 hommes en treillis militaire russe, les yeux bandés et les mains liées.
De quoi mettre le Kremlin sous la pression d'une opinion populaire de plus en plus défavorable? D'après Cédric Mas, Kiev a "un objectif politique" clair: "secouer le régime de Poutine jusqu'à ce que la majorité des Russes se décide enfin à agir pour mettre fin à ce drame lié à l'ego d'une caste crapuleuse autour d'un dictateur vieillissant."