Incendie de Lubrizol: un an après, où en est l'enquête?

L'usine Lubrizol, à Rouen, le 18 septembre 2020 - Lou BENOIST © 2019 AFP
L'usine Lubrizol, à Rouen, le 18 septembre 2020 - Lou BENOIST © 2019 AFP

Le 26 septembre 2019, les Rouennais se réveillaient dans un épais nuage de fumée noire, dont les volutes s’étalaient sur 22 kilomètres. Dans la nuit, près de 10.000 tonnes de produits chimiques avaient pris feu sur les sites industriels de Lubrizol et Normandie Logistique, dont le premier est classé Seveso. Le complexe est situé en bord de Seine, à tout juste trois kilomètres du centre-ville.

Si l’incendie est rapidement maîtrisé, de fortes odeurs d’hydrocarbure persistent de longs jours dans la capitale normande. Par chance, aucune victime directe n’est à déclarer. Mais les effets sur la santé à long terme sont, pour l’heure, impossible à déterminer. Depuis, l’enquête avance prudemment pour comprendre les responsabilités de chacun. Si des dysfonctionnements ont été pointés du doigt, l’origine du feu reste, un an après, inconnue.

Un dispositif incendie défectueux

Une information judiciaire ouverte contre X a rapidement été confiée à trois juges d'instruction du pôle santé publique et environnement du parquet de Paris, pour sept chefs d’accusation: "destruction involontaire par incendie due à la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence", "blessures involontaires ayant entraîné une incapacité inférieure ou égale à 3 mois par manquement délibéré à une obligation de prudence", "mise en danger de la vie d’autrui par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence" et "exploitation d’une installation classée sans respect des règles générales et prescriptions techniques".

À ce jour, le parquet de Paris précise à BFMTV.com avoir comptabilisé plus de 3500 plaignants, dont 1086 groupes de familles, d’entreprises ou d’organisations professionnelles. Parmi eux, environ 400 se sont constitués partie civile.

Le dispositif incendie des entrepôts de Lubrizol suscite rapidement des inquiétudes. Lors de son audition en octobre devant la mission d’information parlementaire, le PDG Eric R. Schnur déclare que le système de protection incendie de son site, pourtant classé Seveso, "est prévu pour un feu qui vient de l’intérieur, mais pas de l’extérieur." En clair, si le départ de feu se situe sur son site, mais non dans ses bâtiments, les extincteurs ont pu ne pas être adaptés.

Atteinte à l’environnement

L'étau se resserre autour des deux sociétés. En décembre, le parquet prend un réquisitoire supplétif et demande des investigations complémentaires concernant des manquements de sécurité mis en lumière par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Il vise directement Lubrizol et Normandie Logistique. Cette dernière, où près de la moitié des produits ont brûlé, est mise en cause pour ne pas avoir tenu à jour ses stocks de produits entreposés et ne pas avoir eu, selon Le Monde, de point d’eau "à moins de 100 mètres depuis l’accès extérieur de chaque cellule de stockage."

Le dossier met au jour des sociétés qui "s'affranchissent des règlements de condition de stockage, y compris pour stocker plusieurs milliers de tonnes de produits dangereux", déplore auprès de BFMTV.com Corinne Lepage, avocate de l’association Rouen Respire.

À l’issue d’un réquisitoire supplétif, le parquet a deux options: le placement sous statut de témoin assisté - statut intermédiaire entre celui de simple témoin et de mis en examen - ou la mise en examen. Dans le cas de Normandie Logistique, c’est le statut de témoin assisté qui a été choisi, souligne l’avocat de l’entreprise, Christophe Boog, contacté par nos soins.

À l’inverse, Lubrizol a été mise en examen pour "déversement de substances nuisibles dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer et d’exploitation non conforme d'une installation classée ayant porté une atteinte grave à la santé, la sécurité ou dégradé substantiellement la faune, la flore, la qualité de l'air, du sol ou de l'eau". La défense de la société n’a, de son côté, pas répondu à nos sollicitations.

"Une forme d’indulgence"

Mais les deux sociétés ne sont pas les seules à être pointées du doigt. Comme tout site industriel sensible, Lubrizol est soumis à des contrôles réguliers des inspecteurs de la Dreal. L’entreprise avait ainsi été inspectée 39 fois en cinq ans, souligne France Info. Des contrôles récurrents donc, qui poussent les sénateurs membres de la commission d’enquête sur l’incendie à s’interroger sur "une forme d’indulgence des pouvoirs publics vis-à-vis des industries", soulevant également "le nombre réduit de sanctions prononcées (...) pour les infractions environnementales".

Le rapport d’expertise sur les origines de l'incendie est donc vivement attendu pour faire avancer l’enquête. "A ce stade, aucune piste ne semble privilégiée, même si un départ de feu depuis le site de Normandie Logistique apparaît totalement improbable", assure Maître Boog, qui précise que les dirigeants de l'entreprise, tout comme ses salariés, "sont encore traumatisés par la disparition de leur outil de travail".

Une attente partagée par les victimes, indique Corinne Lepage. "Celles ayant vécu des dommages matériels ou des troubles sanitaires", mais aussi, tous ceux “qui ont respiré la fumée, mais n’ont aucune séquelle... pour l’instant.”

Article original publié sur BFMTV.com