"Des images qui banalisent la mort": une mère de famille dénonce les algorithmes de TikTok

Sept familles ont assigné en justice la plateforme TikTok pour faire reconnaître sa responsabilité dans la dégradation de la santé mentale de leurs enfants. Morgane, mère de Maëlle, a accepté de témoigner.

"Aujourd'hui, Maëlle* va moyen, elle est toujours fragile." Depuis plusieurs années, Morgane tient à bout de bras sa fille, diagnostiquée aujourd'hui en "dysrégulation émotionnelle", une difficulté à gérer les émotions intenses, mais qui a enchaîné les passages en hôpital psychiatrique et les tentatives de suicide. "Son combat à elle, c'est d'aller bien, le mien, c'est aussi d'alerter", résume la mère de famille.

Morgane fait partie de sept familles françaises qui ont assigné TikTok devant la justice française pour faire reconnaître la responsabilité de la plateforme dans la dégradation de la santé mentale de leurs enfants. Deux adolescentes ont fini par se donner la mort, Maëlle, elle, s'est automutilée, a souffert de troubles alimentaires et a tenté de se suicider.

"Je ne dis pas que TikTok a fait que ma fille aille mal, mais les vidéos proposées l'ont enfermée dans son mal-être", dénonce la mère de famille.

Pour Maëlle, ce mal-être apparaît en classe de quatrième. La jeune fille se renferme, se scarifie consulte un psychologue, devant lequel elle évoque les "méchants" de sa classe. Le mot de harcèlement n'est pas posé. Aujourd'hui, il est établi par le corps médical que c'est ce harcèlement qui est à l'origine des troubles de Maëlle. A l'époque toutefois, l'adolescente, qui vient d'avoir son premier téléphone portable pour Noël, s'inscrit sur TikTok.

Sur la plateforme, Maëlle like une première vidéo de chanson triste, puis deux, puis trois. La "spirale infernale" se met en place sur son fil de recommandations "Pour toi". La jeune fille commence à recevoir des contenus sur l'automutilation, les troubles alimentaires, le suicide. "Dans ces vidéos, on donne des tips pour se scarifier, pour se procurer des lames, se procurer des médicaments…", déplore Morgane.

Addicte aux contenus, Maëlle a trouvé une communauté dans laquelle "elle se complaît dans son mal-être". Sa mère retrouvera une corde sous son matelas, la jeune fille ira se procurer des médicaments pour mettre fin à ses jours. Elle finira en réanimation à la suite d'une tentative de suicide.

A l'époque, Morgane ne fait pas le lien entre le réseau social et la dégradation de la santé mentale de sa fille, dont la poursuite de la scolarité est de plus en plus compliquée. "Vous êtes comme un zombie, vous avancez parce qu'il le faut, car la vie de votre enfant est ce qui compte le plus, confie la mère de famille. Vous devez au quotidien gérer la santé de votre enfant, difficile d'en chercher les causes."

Puis il y a quelques mois, Morgane entend un reportage à la radio sur TikTok et sur les contenus que l'on peut y trouver. "Pour moi, TikTok, c'était des vidéos de chatons!", s'étonne-t-elle. Elle en parle avec Maëlle qui lui avoue qu'elle a été confrontée à des vidéos sur l’automutilation, les troubles alimentaires, le suicide. "Les algorithmes de TikTok ont enfermé Maëlle dans ce mal-être, avec des images qui banalisent la mort", insiste la mère.

"Des vidéos dans lesquelles il est expliqué qu’une scarification sans sang, ça ne compte pas, qu’une tentative de suicide qui ne conduit pas à une hospitalisation, ça ne compte pas non plus…", dénonce Morgane.

Aujourd'hui, Maëlle est hospitalisée en pédopsychiatrie où elle suit une très lourde thérapie. Avec sa maman, elles ont créé une page Instagram, les Chuchoteurs Au crochet, où mère et fille mettent en scène deux perroquets en crochet à la manière du nain d'Amélie Poulain. Une manière pour elles, qui se partagent les deux peluches quand Maëlle est hospitalisée, de sensibiliser sur la santé mentale des jeunes.

Sa mère se bat aussi pour que "la douleur de notre famille puisse servir à d'autres". Avec le collectif Algos Victima, fondé par l'avocate Me Laure Boutron-Marmion, elle s'est associée à l'assignation au civil de six autres familles. "Je veux qu'on en parle, je veux qu'on alerte les parents, les soignants, les enseignants, insiste Morgane. On dit que nos jeunes vont mal, mais il y a une raison."

L'Australie vient de fixer l'âge pour accéder aux réseaux sociaux à 16 ans. Il y a un an, l’ONG Amnesty international publiait une étude concernant justement le fil “Pour toi”. Fil qui selon l’association encourage l’automutilation et les idées suicidaires alors que le temps moyen passé sur l’application par les jeunes Français est de deux heures par jour.

Contacté, TikTok assure n’avoir reçu à ce jour aucune notification relative à la procédure judiciaire lancée par le collectif Algos Victima. Et l’entreprise tient à rappeler que "protéger notre communauté, et tout particulièrement les plus jeunes, est une responsabilité prise avec le plus grand sérieux".

La plateforme assure également que tout contenu relatif au suicide, passage à l’acte, tentative ou idées suicidaires, et à l’automutilation, est supprimé. Entre avril et juin 2024, 98,8% des vidéos supprimées en violation des règles communautaires l’ont été de manière proactive, 91% n’ayant pas été visionnées, rappelle l'entreprise.

Et concernant les fameux algorithmes mis en cause, TikTok reconnaît que c’est l’un de ses "défis inhérents à son système de recommandation", ce fameux fil “Pour toi”. La plateforme dit s’assurer que les contenus recommandés ne soient pas trop restrictifs. En particulier quand ces vidéos sont en lien avec le sport à l’extrême, les régimes ou la tristesse.

* Le prénom a été modifié.

Article original publié sur BFMTV.com