"Elle ignore avec quel homme elle a vécu" : son père a drogué sa mère pour la livrer à des inconnus
La mère de Caroline Darian a été droguée par son mari pendant des années pour la violer ou la livrer à des inconnus. Dans un livre, cette femme alerte sur le phénomène de la soumission chimique.
Pendant une dizaine d'années, la mère de Caroline Darian a été droguée à son insu par son mari pour la violer ou pour la livrer à des inconnus. Ce stratagème sordide a été révélé au grand jour il y a quelques mois à la faveur d'une enquête policière. Dans le livre à paraître Et j'ai cessé de t'appeler Papa*, la jeune femme évoque "cette boue", comme elle l'appelle, et met en garde contre ce phénomène méconnu qu'est la soumission chimique.
Le 12 septembre 2020, le père de Caroline Darian est interpellé dans un supermarché de Carpentras, dans le Vaucluse, après avoir été surpris en train de filmer sous la jupe de femmes. L'homme âgé de 68 ans est relâché, mais la perquisition à son domicile et les analyses de ses appareils numériques font basculer le simple fait divers en affaire bien plus sordide. "20 000 photographies et vidéos pornographiques" sont ainsi révélées. Parmi ces contenus, des dizaines de films montrant son épouse inconsciente, violée par des inconnus. Le 2 novembre 2020, l'homme est reconvoqué par la police.
"Ma mère ne se doute de rien. (...) Elle l’attend à l’accueil quand un enquêteur demande à la voir. On lui explique progressivement, avec des photographies d'elle dénudée, anesthésiée, prises dans sa chambre avec des inconnus. C'est un choc traumatique", témoigne auprès du Parisien Caroline Darian, la fille du couple, qui dit ressentir "beaucoup de tristesse et de colère".
"Ces hommes savaient"
Le père de Caroline Darian, qu'elle décrit comme "hypersociable, attentionné", mais aussi "borderline", "arrangeant les choses à sa manière", avait mis en place un véritable stratagème. Il postait des photos "très crues" de sa mère sur un site de rencontre pour "recruter" des hommes. Ces derniers devaient se garer loin du domicile du couple, devaient arriver sans parfum, devaient se réchauffer les mains sur le radiateur afin de ne pas réveiller l'épouse inconsciente. Une quarantaine d'hommes ont été identifiés par les enquêteurs. Âgés de 24 à 71 ans, certains assurent ne pas avoir su que leur victime, qui aurait été violée à une centaine de reprises entre 2011 et 2020, était inconsciente.
"Ces hommes savaient pertinemment ce qu'ils venaient chercher", dénonce avec colère Caroline Darian.
"Il a partagé sur Internet des photomontages de ma mère et moi. On a aussi découvert que des viols avaient eu lieu dans ma propre maison, que ma mère a été livrée sur des aires d’autoroute... C’est la dépravation totale", poursuit cette femme de 43 ans qui elle aussi dit avoir été droguée par son père ainsi que photographiée quand elle sortait de la douche. Pourtant, jusqu'à la révélation des faits en 2020, la famille du retraité ne se doute pas de tels faits. Il y a bien ce jour où il a été surpris par l'une de ses belles-filles en train de se masturber devant un ordinateur ou cette amie qui avait alerté son épouse "d'un comportement inadapté". Mais rien d'aussi innommable.
"Un enjeu de santé publique"
Pendant des années, la santé de sa mère avait inquiété Caroline Darian, qui estime que si son père n'avait pas été arrêté, sa mère aurait fini par succomber aux absorptions médicamenteuses. De consultations chez des neurologues, au scanner, aucun spécialiste ne comprenait d'où venait les amnésies, les insomnies, la perte de poids et même de cheveux de cette femme souvent "dans un état second". "Aujourd’hui, elle ignore avec quel homme elle a vécu et nous-même ignorons quel père nous a élevés", se désole sa fille. Pour elle, cette histoire insoutenable doit permettre d'alerter sur la soumission chimique qui ne se résume pas au GHB lors de soirées festives.
"C'est un phénomène de société et un enjeu de santé publique", rappelle-t-elle dans les colonnes du Parisien alors que les anxiolytiques et antihistaminiques, des médicaments présents dans toutes les armoires à pharmacie, sont ceux les plus utilisés dans les affaires de soumission chimique.
Pour Caroline Darian, cette méconnaissance de ce phénomène repose aussi sur une mauvaise ou une absence de formation des professionnels de santé. "Aucun (médecin, NDLR) n’a compris", résume-t-elle, évoquant les rendez-vous médicaux successifs de sa mère. "Il aurait fallu faire une analyse toxicologique. Mais comment deviner ? Les médecins trouvent ce qu’ils cherchent, et cherchent ce qu’ils connaissent. Ils ne sont ni formés, ni sensibilisés à la soumission chimique." Caroline Darian plaide aujourd'hui pour "une campagne de sensibilisation" sur le sujet.
*Et j'ai cessé de t'appeler Papa, par Caroline Darian. Edition JC Lattès. Aparaître le 6 avril 2022.
Article original publié sur BFMTV.com
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