hors-jeu

On dégage tout : les marches, la couverture des médias, la limousine à vitres teintées d’où la chanteuse barbadienne Rihanna s’extirpe pour slalomer entre des journalistes au pied des marches. Que reste-t-il ? Des éclats de films : des bribes, des bande-annonces, une minute tirée d’une scène de repas. L’œuvre moins sa temporalité. La mise en scène disparaît, le scénario aussi et les personnages avec le scénario. Il reste la lumière et le grain de l’image : pour paraphraser le regretté cinéaste français Max Pécas pour qui un film, «c’est un titre et une affiche», un film de Cannes vu de loin, c’est un titre et un chef opérateur. Les chefs op sont ainsi les marionnettistes incidents et exclusifs de ce qui se passe dans la psyché de ceux qui regardent les films de Cannes sans accéder aux projections. Le cinéma réduit à un art coloriste : jaune foncé (Jupiter’s Moon), bleu nuit (le Todd Haynes), la blancheur d’un open space ou d’un amphi (120 Battements par minute) ou le noir métallisé (l’Amant double).

Une griffe esthétique au milieu d’un bombardement de signes ; la saison des asperges, la prise de Raqqa ou la remontée vintage du Racing Club de Strasbourg en L1. Mais pas n’importe quelle griffe esthétique : en aplat, fermée. Une lumière du jour de seconde main, univoque et dévitalisée. Par contraste, tout ce qu’on peut pêcher dans l’actualité est excitant, vivant et ambigu. Le premier jour du Festival, la mort du tueur en série anglais Ian Brady, emprisonné depuis plus d’un demi-siècle pour les meurtres et viols de cinq gosses dans la lande entourant Manchester, a fait ressurgir une image du bout du monde : Brady n’ayant jamais révélé où il avait enterré l’une des victimes, la famille de celle-ci a arpenté la lande pendant des décennies, souvent suppléée par des quidams venus se donner un frisson morbide. Une image indécidable - la mort ou la mémoire au travail, on ne sait pas. Avec ce que les films de Cannes te donnent à voir, tu sais toujours. Méfiance.



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