RFI
Le président du conseil italien a qualifié ce jeudi soir 8 avril le président turc de « dictateur » en répondant à une question sur le « Sofagate ». Le tollé continue après que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s'est retrouvée sans siège aux côtés du président du Conseil européen Charles Michel face à Recep Tayyip Erdogan. Pour certains observateurs, cette humiliation ne reflète pas seulement la misogynie d'Erdogan, mais révèle une « guerre » entre la Commission d'une part et le Conseil européen et les dirigeants des 27 pays de l'UE, d'autre part. « J'ai été très navré par l'humiliation que la présidente de la Commission a dû subir avec ces, appelons-les pour ce qu'ils sont, dictateurs », a déclaré Mario Draghi au cours d'une conférence de presse à Rome. Le président du Conseil italien répondait à une question sur le comportement de Recep Tayyip Erdogan vis-à-vis de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, placée mardi en retrait sur un divan lors d'une réunion des dirigeants des institutions de l'UE à Istanbul. « Je ne partage absolument pas le comportement du président turc envers la présidente de la commission [...]. Cela n'a pas été un comportement approprié », a précisé Mario Draghi.Le ministre turc des Affaires étrangères a condamné dans la foulée les propos du chef du gouvernement italien. « Nous condamnons fermement les commentaires populistes, offensants et déraisonnables du Premier ministre italien Draghi », a indiqué dans un tweet Mevlut Cavusoglu, après que ses services ont convoqué l'ambassadeur d'Italie à Ankara.Ibrahim Kalin, porte-parole du président Erdogan, a jugé ces propos « impudents » et « sans fondement », et a appelé le responsable italien à « corriger » sa déclaration, rapporte notre correspondante à Istanbul, Anne Andlauer. Quant au directeur de la communication de la présidence turque, Fahrettin Altun, il a estimé que Mario Draghi avait « dépassé les limites » et l’a exhorté « à regarder l’histoire de l’Italie s’il cherche un dictateur ».Les dirigeants turcs sont d’autant plus en colère contre ces déclarations en provenance de Rome qu’elles sont liées à la polémique du « Sofagate », dans laquelle Ankara estime n’avoir rien à se reprocher. Elles passent d’autant plus mal qu’elles émanent d’un pays, l’Italie, traditionnellement perçu comme un « ami » ou du moins comme un État neutre vis-à-vis de la Turquie au sein de l’Union européenne. Elles en disent long, de fait, sur l’image du pouvoir turc en Europe aujourd’hui.► À lire aussi : «Sofagate» à Ankara: après le couac diplomatique, la Turquie rejette la faute sur l'UEJunker et Tusk assis ensemble face à ErdoganLa vidéo montrant la présidente de la Commission européenne assise sur un divan en retrait a choqué de nombreux eurodéputés et hauts responsables européens. « On disposait de photographies antérieures qui montraient très bien que quand Erdogan recevait [Jean)-Claude] Junker et [Donald] Tusk, c'est-à-dire les homologues d'Ursula von der Leyen et Charles Michel, il y avait bien trois fauteuils, rappelle scandalisée Véronique Trillet Lenoir, eurodéputée Renew, au micro de Béatrice Leveillé, du service International de RFI. Donc on n'est pas dans une question de pur protocole. On est dans une provocation d'un dirigeant qui par ailleurs fait valoir y compris en quittant la convention d'Istanbul son déni de l'égalité des sexes. »Par ailleurs, l'eurodéputée déplore la réaction du président du Conseil européen : « On est malheureux que Charles Michel tombe dans le piège et n'ait pas le réflexe d'éducation, qui aurait dû demander qu'il y ait un troisième fauteuil. Tout cela est très choquant, met l'Union européenne en position de faiblesse vis-à-vis d'Erdogan, qui lui-même se comporte comme un goujat, un dictateur, un négationniste de l'égalité des sexes. » ► À lire également : L'UE dénonce l’attitude d'Erdogan sur les violences sexistes et l'État de droitCharles Michel : « Je voudrais tellement pouvoir rembobiner »De son côté, Charles Michel s'est exprimé ce jeudi soir sur une télévision belge : « J'ai rembobiné 150 fois dans ma tête depuis l'heure et je voudrais tellement pouvoir rembobiner, revenir en arrière, a-t-il confié. Et si je pouvais le faire, j'aurais veillé à ce qu'il n'y ait pas la moindre ambiguïté et que l'on ait effectivement une situation [...] tout à fait normale, c'est-à-dire une configuration en deux sièges qui montre le respect pour chacune et pour chacun. »Cependant, pour l'ancien Premier ministre belge, impossible de faire autrement sur le moment : « Quel que soit l'acte que j'allais poser, j'allais donc créer un incident bien plus grave, bien plus majeur, qui allait détruire des mois et des mois de travail minutieux de préparation qui n'engagent pas seulement moi ou Ursula, mais qui engagent 27 gouvernements européens et 450 millions de citoyens pour ramener un peu plus de stabilité, un peu plus de sécurité dans les relations avec la Turquie. »► À écouter : Europe-Turquie: la réconciliation est-elle possible ?« Guerre institutionnelle »Au total, l'UE a bien du mal à se dépêtrer du « Sofagate ». En fin d'après-midi ce jeudi, une note du Conseil européen a précisé les conditions de la rencontre et notamment souligné le fait que les services du protocole de la Commission n’étaient pas présents en amont. Mais pour Patrick Martin Genier, spécialiste des affaires européennes et enseignant à Sciences Po et l’Inalco, « à supposer que les représentants de la Commission n'étaient pas là, c'était au Conseil européen, aux services à la fois diplomatiques mais également au cabinet de M. Charles Michel de prévenir la Commission en disant qu'il y avait un risque que face à Erdogan et pour afficher l'unité de l'Union européenne, il était indispensable que les deux personnalités qui représentent l'exécutif européen soient côte à côte, à côté de M. Erdogan parce qu'il y avait une implication politique. »À travers cet incident, le spécialiste pointe une « guerre de plus en plus importante, une guerre institutionnelle entre le Conseil européen et les chefs de gouvernement, et la Commission européenne. Il est clair aujourdh'ui que certains gouvernements en Europe voudraient reléguer la Commission à un niveau d'organe purement technocratique et sans signification politique. »