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Récompense sous haute sécurité pour Charlie Hebdo à New York

par Ellen Wulfhorst et Sebastien Malo NEW YORK (Reuters) - Le prix "Courage et Liberté d'expression" décerné par le centre américain PEN a été remis mardi soir à New York au journal satirique français Charlie Hebdo dont la rédaction a été décimée il y a quatre mois par un attentat islamiste au coeur de Paris. Le gala de la célèbre association d'écrivains s'est tenu sous haute sécurité, deux jours après l'attaque, apparemment menée par deux islamistes, contre un concours de caricatures du prophète Mahomet au Texas. Il s'est également déroulé sur fond de controverse, quelque 200 écrivains parmi lesquels Joyce Carol Oates, Russell Banks, Francine Prose et Michael Ondaatje ayant signé une pétition s'opposant au choix de l'hebdomadaire français. Les caricatures du prophète de l'islam étaient également au centre de l'attaque menée par les frères Saïd et Chérif Kouachi qui a fait 12 morts le 7 janvier dernier dans les bureaux de Charlie Hebdo à Paris. L'attentat a été revendiqué par la branche d'Al Qaïda au Yémen, qui estime que les caricatures de l'hebdomadaire sont une insulte au prophète. "L'équipe actuelle de Charlie Hebdo a persisté. La récompense de ce soir est le reflet de son refus d'accepter la limitation de la parole légitime par la violence", a déclaré le président de PEN, Andrew Solomon, lors de la cérémonie, à laquelle participaient de nombreuses personnalités du monde des lettres. L'arme la plus puissante des extrémistes religieux est la peur et "nous devons la désarmer", a déclaré dans sa réponse, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, Gérard Biard. "Ils ne veulent pas que nous écrivions et que nous dessinions. Nous devons écrire et dessiner. Ils ne veulent pas que nous pensions et que nous riions. Nous devons penser et rire. Ils ne veulent pas que nous débattions. Nous devons débattre. En étant ici ce soir, nous contribuons à les désarmer", a-t-il ajouté. POLÉMIQUE La décision du centre PEN d'accorder son prix de la liberté d'expression à l'hebdomadaire satirique français a fait polémique aux Etats-Unis, où six écrivains de renom ont décidé de boycotter l'événement et signé, avec quelque 200 autres, une lettre ouverte dénonçant l'attitude de Charlie Hebdo. Dans cette lettre, publiée notamment sur le site The Intercept, ils condamnent toute violence ou meurtre en réponse à l'expression d'une opinion mais établissent une "différence critique" entre "soutenir avec vigueur une expression qui enfreint l'acceptable et récompenser avec enthousiasme cette même expression". Accusant l'hebdomadaire de s'en prendre à "une frange de la population française déjà marginalisée, en difficulté et persécutée", ils ajoutent: "Notre inquiétude, c'est qu'en remettant ce prix à Charlie Hebdo, le PEN ne transmette pas simplement un soutien à la liberté d'expression mais valorise aussi un contenu offensant, un contenu qui intensifie les sentiments antimusulmans, antimaghrébins et anti-arabes qui prévalent déjà dans le monde occidental." Dans une interview accordée à l'hebdomadaire français L'Express, le romancier franco-congolais Alain Mabanckou, qui avait été choisi par le PEN America pour remettre le prix mardi soir, leur oppose leur "méconnaissance de l'histoire de la pensée et de la presse françaises". "Beaucoup de mes illustres confrères anglo-saxons n'ont découvert Charlie Hebdo qu'en janvier 2015 à travers des informations parfois apocalyptiques sur ce magazine", ajoute-t-il. D'autres écrivains ont apporté leur soutien au choix de Charlie Hebdo parmi lesquels Salman Rushdie. L'auteur des Versets sataniques, visé par une fatwa édictée par l'ayatollah Khomeini en 1989, était présent à la cérémonie mardi soir. "Cette affaire n'a rien à voir avec une minorité opprimée et défavorisée, elle a tout à voir avec la bataille contre un islam fanatique, hautement organisé, bien financé et qui tente de nous réduire tous, musulmans comme non musulmans, par la terreur à un silence effrayé", a-t-il écrit en réponse aux pétitionnaires. Des policiers en uniforme, des unités antiterroristes et des chiens policiers étaient visibles autour du Musée américain d'histoire naturelle où avait lieu la cérémonie. (Danielle Rouquié et Henri-Pierre André pour le service français)