Hollywood : le créateur de The Wire dénonce des « décennies de racket »

Dans un long post sur son blog personnel, le showrunner et ancien journaliste David Simon (The Wire, Homicide, Treme et dernièrement The Deuce) s’en prend aux quatre grandes sociétés d’agents (CAA, WME, UTA, ICM) et à l’Association of Talent Agents (ATA). Il demande à ce que la Writers Guild of America engage des poursuites. La raison ? Une fraude générale autour du « packaging » et de ses commissions.




Qu’est ce que le packaging ?

On appelle « packaging » le système mis en place par les agents dans la négociation des contrats et la vente de projets aux studios. Pour qu’un film ou une série se fasse, il faut le plus souvent passer par des agents. On peut faire sans mais c’est devenu bien plus rare et compliqué. Au fil des ans, le système leur a effectivement permis d’être présent à chaque étape des négociations, quitte à représenter les deux camps lors d’une vente. Un peu comme si un agent immobilier s’occupait aussi bien de l’acheteur que du vendeur. Le conflit d’intérêt est évident.

Mais ça se complique lorsqu'il s’agit de vendre les projets aux studios. Les plus grandes agences offrent donc des « packages », soit des projets quasi clé en main (auteur, producteur, voire réalisateur sont déjà choisis). Pratique et efficace. Afin de les concrétiser, ces agences proposent de ne pas toucher leur commission sur la vente en échange d’intéressements aux bénéfices mais aussi en touchant une sorte d’avance sur recette. Ce montage financier un peu trouble finit par réduire le montant que toucheront les auteurs. Déjà parce que la négociation de la vente de leur travail s’est effectué a minima (vu que les agents représentent aussi bien l’acheteur que le vendeur) mais aussi parce que les intérêts perçus par les agences sont déduits des recettes de la série, et c’est sur ce montant que sont ensuite calculés les intéressements des auteurs. Si on imagine qu’une série rapporte 10 millions de dollars, les agences vont récupérer les 10% préalablement négociés (soit 1 million) et les auteurs toucheront 15% des 9 millions qui restent, soit 1 350 000 au lieu de 1 500 000.

David Simon voit rouge, n’hésitant pas à qualifier cette pratique de racket organisé : « je ne vois pas de différence entre le packaging et les affaires de truquage et corruption que j’ai pu couvrir en tant que journaliste dans les tribunaux fédéraux ou étatiques ». Car avec ce système, les agents finissent pas gagner plus d’argents que les clients qu’ils représentent.

Le packaging est un mensonge. C’est du vol. De la fraude. Dans les mains du bon procureur, cela pourrait même être au premier regard la preuve de décennies de racket (David Simon)

Un bras de fer entre la Writers Guild of America et l’American Talent Agency

L’article de David Simon intervient après la parution d’un rapport soumis par la Writers Guild of America, intitulé « No conflict, no interest », dans lequel elle accuse les quatre plus grosses agences d’un intensif et illégal conflit d’intérêt. Il indique également que la guilde n’hésiterait pas à lancer une procédure, déployant la menace de la loi antitrust de 1962 qui a obligé MCA (Music Corporation of America) à quitter le business des agents après une décennie à être à la fois producteur et agent.

De leur côté, les agences avancent que le « packaging » est l’unique solution pour que certains projets aboutissent et que si elles avaient perçu leur commission, les scénaristes auraient perdu jusqu’à 49 millions de dollars par an. Ce que réfute de façon virulente David Simon « Le packaging est un mensonge. C’est du vol. De la fraude. Dans les mains du bon procureur, cela pourrait même être au premier regard la preuve de plusieurs décennies de racket ».

La WGA et l’ATA ont jusqu’au 7 avril pour trouver un accord, revenant ainsi sur une méthode qui dure depuis 43 ans. Les pourparlers sont encore timides et aucune avancée concrète n’a été effectuée. La Guilde des scénaristes a requis à ses membres de renvoyer leur agent qui ne respecterait pas un certains « code de conduite », ce qui éliminerait alors les commissions de packaging et les parts dans des sociétés de production.




Un changement est-il possible ?

Difficile de faire bouger un système illicite qui dure depuis si longtemps qu’il a fini par devenir normal. Malgré tout, les studios ou networks auraient un rôle à jouer. C’est ce qu’affirme Gavin Polone (producteur pour la télévision, notamment Curb Your Enthusiasm ou Gilmore Girls) dans un article pour le Hollywood Reporter en 2015 : « Je comprends pourquoi les studios et networks craignent de perdre des projets s’ils bannissent cette pratique mais cette excuse est une foutaise. Les films sont également packagé par des agents de la même façon que les séries, mais sans les pots-de-vin intensif que reçoit l’agence de la part de ceux qui financent le projet. Si un studio ou network arrêtait de payer ces commissions, il pourrait perdre un ou deux projets au début mais les agents auraient de plus en plus de mal à expliquer à leurs clients pourquoi ils ne peuvent pas proposer leur projet à ABC/ABC Studios ou Fox/20th Century Fox parce qu’ils sont davantage motivés par leurs propres intérêts que ceux du projet ou de leurs clients. Aussitôt qu’un network ou un studio arrêtera de payer ces commissions et remportera un immense succès, ce qui arrivera à un moment ou un autre, tous les autres lui emboîteront le pas et ce sera la mort de ces commissions ».