"Hocus Pocus", ou l'histoire d'un échec cuisant devenu un classique de Halloween
Ressortez vos balais, dépoussiérez vos grimoires et récurez vos chaudrons: trente ans après la sortie en salles de Hocus Pocus, les trois sorcières déjantées de ce film culte signé Disney reviennent à la vie dans une suite. Sobrement intitulé Hocus Pocus 2 et porté par le même trio d'actrices, le deuxième volet arrive ce vendredi sur Disney+, juste à temps pour préparer Halloween.
Cette comédie pour enfants de 1993 est devenue au 31 octobre ce que Love Actually est aux fêtes de Noël: un incontournable chéri par les fans. Comme le résume Vox, Hocus Pocus est rediffusé chaque année sur les chaînes familiales américaines quand les feuilles commencent à tomber, et ses ventes de DVD s'allongent en même temps que les jours raccourcissent. L'année dernière il était ainsi le deuxième film le plus vendu du mois d'octobre outre-Atlantique, selon le site The Numbers. À la faveur d'une désertion des salles à cause de la crise du Covid-19, il s'est même retrouvé deuxième du box-office américain en 2020, à l'occasion d'une nouvelle sortie sur grand écran.
Rien ne laissait présager une telle destinée pour cette réalisation signée Kenny Ortega, tant l'échec critique et commercial avait été sans appel lors de sa sortie en salle. Ou comment un film voué à tomber dans l'oubli peut se transformer en classique, comme par magie.
Pendaisons et gags pour enfants
Le succès d'un long-métrage est toujours compromis lorsque sa cible n'est pas clairement identifiée. Et s'il y avait une compétition de films inclassables, Hocus Pocus serait un concurrent redoutable: cette comédie - destinée aux enfants, rappelons-le - s'ouvre sur l'assassinat d'une petite fille, enchaîne avec la pendaison de trois femmes en place publique, met en scène des personnages taillés pour hanter les cauchemars des plus jeunes... et se permet quelques blagues (gentiment) coquines.
Bette Midler, Kathy Najimy et Sarah Jessica Parker y incarnent les sœurs Winifred, Mary et Sara Sanderson, trois sorcières qui aspirent la vie des enfants pour rester éternellement jeunes. Exécutées à Salem au XVIIe siècle, elles sont malencontreusement ressuscitées par un adolescent des années 1990, le soir de Halloween. Accompagné de sa petite sœur et d'une camarade de classe qu'il aime en secret, il n'aura qu'une nuit pour contrecarrer les sombres desseins des trois magiciennes, aussi cruelles que loufoques...
"Les gens me demandaient quel public nous visions, et je répondais que je voulais un public large", s'est récemment souvenu Kenny Ortega dans les colonnes de Forbes. "Certains disaient que je ne savais pas à quel public je voulais m'adresser, les enfants, les adultes, etc. Mais moi, je savais."
Ce qu'il ignorait, en revanche, c'était que son film se heurterait à tant d'obstacles lors de son exploitation au cinéma.
Un chat noir au box-office
Bien que Hocus Pocus sente bon la citrouille et les friandises de Halloween, Disney prend la surprenante décision de le sortir en plein cœur du mois de juillet 1993. Déjà handicapé par cette déroutante stratégie, le film est accueilli fraîchement par la critique: le Washington Post dézingue "une future VHS déguisée en film de cinéma", et le condamne à un avenir "dans les corbeilles de films à louer". Variety, qui lui reconnaît quelques qualités, regrette que le long-métrage "perde constamment la tête, comme le zombie ramené à la vie par Winifred". Le New York Times, particulièrement sévère, décrit un film "désordonné", et qui peine à trouver son public entre enfants et adultes.
C'est Steven Spielberg (un temps intéressé pour réaliser le film avant de se retirer) qui assène malgré lui le coup de grâce. Le cinéaste cartonne dans les salles cet été-là avec Jurassic Park, et ses dinosaures ne font qu'une bouchée des sorcières. Celles-ci ne récoltent que 39 millions de dollars au box-office américain - soit à peine 10 de plus que les 28 millions qu'a coûté le film.
Les sœurs Sanderson se retirent en silence, l'équipe du film craint les conséquences de son bide ("Je me disais que j'étais fini, que ma carrière en tant que réalisateur était terminée", raconte Kenny Ortega à Forbes), et Hocus Pocus semble prêt à entamer la deuxième vie peu glorieuse que lui prédisait la presse. Pourtant...
Film précurseur
Difficile de donner une raison spécifique au succès à retardement du long-métrage. Plusieurs paramètres entrent sans doute en jeu, à commencer par son caractère inédit: s'il n'a pas réussi à survivre à la concurrence en salles, Hocus Pocus a enchanté le public à la télévision, d'autant que peu de films familiaux s'étaient penchés sur Halloween jusqu'alors. Et d'année en année, les téléspectateurs ont été de plus en plus nombreux. D'autant que la popularité de la fête annuelle n'a fait qu'aller crecendo outre-Atlantique, à en croire Bette Midler
"On a fait ce film avant que n'arrive la vague Halloween", avait décrypté l'interprète de Winifred Sanderson en 2013 sur ABC. "Et aujourd'hui, c'est énorme. Les enfants, les adultes, tout le monde y prend part. Ce film était plus ou moins le début de la vague."
Peut-être, aussi, que c'est précisément ce qui a été reproché à Hocus Pocus qui lui a finalement permis d'accéder à la postérité. Car un film qui s'adresse aux enfants tout en assumant frissons et humour décalé a tous les ingrédients pour devenir une Madeleine de Proust, capable de divertir les anciens spectateurs aussi bien que les nouveaux:
"Il n'a pas été le hit que nous espérions à sa sortie, mais au fil des ans il s'est inscrit de plus en plus profondément dans la pop culture", déclarait l'actrice à Today en 2020. "Les gens adorent ('Hocus Pocus'), ils me disent: 'J'ai élevé mes enfants avec ce film, je l'ai moi-même vu enfant et il est génial'."
"Les audiences ne l'ont pas trouvé tout de suite"
Ces interviews elles-mêmes sont le signe de la popularité du film. Trente ans plus tard, Bette Midler, Kathy Najimy et Sarah Jessica Parker répondent fréquemment à des questions sur Hocus Pocus, à la manière des acteurs de Friends qui n'ont jamais réussi à se défaire des rôles qui ont tant marqué le public. Et comme eux, les actrices ont quelques fois fait l'événement en se réunissant. Notamment dans une vidéo tournée en 2020, pour "jeter un sort" aux Américains afin qu'ils aillent voter lors de l'élection présidentielle qui opposait Joe Biden à Donald Trump.
La sortie d'un deuxième volet, trente ans après le premier, sonne comme l'ultime consécration - pour ne pas dire revanche - d'un film qui avait seulement quelques années d'avance sur son public. "Je croyais en Hocus Pocus, les filles y croyaient, et même si [le film] n'a pas rencontré son public tout de suite, les générations suivantes y ont cru", résume Kenny Ortega.
Chaque année, Winifred, Mary et Sara sont au cœur de la parade de Halloween à DisneyWorld, en Floride. Et le cinéaste nourrit le rêve de transposer Hocus Pocus sur les planches de Broadway. 300 ans après leur pendaison à Salem, les sœurs Sanderson n'ont peut-être pas jeté leur dernier sort.