Henri Michel, un roi est mort

Henri Michel est mort. Il était le meilleur footballeur français de sa génération, celle des baby-boomers nés entre 1946 et 1950. Henri Michel n’a jamais eu le Ballon d’Or, ni gagné la Ligue des Champions. Aujourd’hui, il jouerait à Barcelone… ou au Paris Saint-Germain.

Henri Michel avec Luis Fernandez à Guadalajara lors du Mondial 1986 après la victoire des Bleus face au Brésil.
Henri Michel avec Luis Fernandez à Guadalajara lors du Mondial 1986 après la victoire des Bleus face au Brésil.

Les enfants ont une idole et il était l’idole de mon enfance. Entre Zorro et d’Artagnan. Il y avait de l’Alain Delon chez ce jeune homme de vingt-cinq ans dont la beauté faisait la publicité du football. Alain Delon ? Ne souriez pas jeunes gens ! Je vous parle d’un temps où Henri Michel rayonnait. Voyez sa belle gueule après le match quand il répond aux questions dans le vestiaire, une fois la douche prise, les cheveux encore mouillés, le cigarillo au bord des lèvres, la chemise ouverte jusqu’au troisième bouton. Alain Delon, vous dis-je.

Sur le terrain, des photographies par centaines rapportent cette élégance. A vive allure, Henri Michel gardait la tête haute. La grâce est un don et Michel, prénom Henri, les possédait tous : vitesse, technique, intelligence. Les clichés des années 70 font foi : avec leurs shorts courts, les maillots moulants et le coton qui scintille. Michel-Ange joue au foot.

Henri Michel était notre Dieu, du stade Marcel Saupin à la plaine des Basses-Landes, là où le FC Nantes s’entrainait avant que le club ne s’installât à la Jonelière. Je dis « notre Dieu » parce que tous les écoliers de la ville, enfin tous ceux qui collectionnaient les images Panini et rêvaient en jaune et vert, tous dormaient la nuit avec le numéro huit dans le dos et tous rêvaient une nouvelle fois de battre Saint-Etienne puisqu’il était acquis que les Verts prenaient une valise quand ils quittaient Geoffroy-Guichard.

Henri Michel était la « plaque tournante » du onze de José Arribas, écrivait Yves Sellin, le journaliste d’Ouest-France dont je découpais chaque article. Henri Michel portait le brassard sur le terrain, ses coéquipiers dans le vestiaire et Nantes dans son cœur. Jamais il ne quittera la Pension mimosas ainsi que Jean Eskenazi, un autre grand ancien du métier, avait baptisé le FCN. Henri Michel a joué 532 matches de feu la Division 1 entre 1966 et 1982. Je me souviens qu’il monte chercher la Coupe de France en 1979 dans la tribune officielle et qu’il reçoit une bordée de sifflets. J’ai 15 ans. Pour la première fois, je suis au Parc des Princes. Je suis avec mon père qui n’en mène pas large. Il est venu déjà trois fois en 1966, 1970, 1973. A chaque fois le FCN a perdu en finale.

Je savais depuis plusieurs jours qu’Henri Michel allait mal, qu’il voulait quitter le Liban, qu’il désirait mourir en France, à Aix-en-Provence, sa ville natale. Il avait 70 ans depuis le 28 octobre. Personne ne sait pourquoi une vie tourne mal, pourquoi la chance, la réussite ou la fortune disparaissent. Que s’est-il passé après 1982 quand Henri Michel a mis fin à sa carrière footballeur et qu’il a entamé celle d’entraineur puis de sélectionneur ?

Il y eut d’abord un triomphe à Los Angeles aux Jeux olympiques avec les Bleus en 1984, puis une troisième place à la Coupe du Monde au Mexique en 1986, qui concluait les années Platini. Hélas ! Ensuite, Henri Michel perdra le fil. De l’équipe de France au Paris Saint-Germain, d’équipes nationales en équipes nationales (j’en ai compté huit mais je n’en suis pas certain), le parcours d’Henri Michel est jalonné sinon d’échecs, au moins de revers. En tout cas, jamais de réussite éclatante. Quelle tristesse ! J’avais noté comme un goût d’amertume quand je lisais ou écoutais chacun de ses entretiens. Amertume masquée par un sourire. Comme une dernière élégance.

Henri Michel n’était pas programmé pour le malheur. J’entendais sur son compte de vilaines choses. La vie est cruelle. Quand les dieux grecs voulaient punir un mortel, ils lui donnaient tout. Puis ils lui reprenaient tout. La gloire, la beauté, la réussite avaient fui Henri Michel les dernières années de sa vie.

Reste un palmarès, un style, un footballeur. Parmi les plus doués. Reste une époque, disparue. Comme le jeu à la nantaise.

Pascal Praud