Hausse d'impôts : quelles sont les pistes proposées par les économistes ?
Alors que les macronistes et leurs alliés de droite semblent en désaccord sur les questions fiscales, retour sur les différentes solutions envisagées en matière de hausse d'impôts.
Un passage inévitable pour redresser les finances publiques ? Alors que les discussions se poursuivent entre le nouveau Premier ministre Michel Barnier et les différentes formations politiques qui pourraient gouverner avec lui, la question fiscale semble constituer un point de crispation majeur pour parvenir à un accord de gouvernement.
Ces derniers jours, le camp présidentiel a ainsi martelé à plusieurs reprises son opposition de principe à toute hausse d'impôts pour tenter d'enrayer, voire d'inverser le creusement du déficit public. Face aux proportions démesurées prises par ce dernier, Michel Barnier a cependant de nouveau affirmé, ce mercredi, qu'il envisageait des mesures de "justice fiscale" pour redresser la situation budgétaire, qualifiée de "très grave".
Une hausse d'impôts indispensable pour résorber le déficit public
Saluée notamment par Les Républicains, le parti dont est issu le nouveau Premier ministre, cette prise de position est critiquée par les macronistes, mais correspond à une certaine réalité : étant donnée l'ampleur du déficit public, il serait illusoire de penser que celui-ci pourrait être résorbé uniquement en faisant des économies sur le budget de l'État.
"Certes, nous avons déjà un taux de prélèvements obligatoires élevé et la consolidation de notre déficit primaire ne pourra se faire seulement en augmentant les recettes, reconnaissait ainsi en avril dernier Camille Landais, président délégué du Conseil d'analyse économique (CAE), cité par La Tribune. Mais à l'inverse, je ne vois pas comment cette consolidation budgétaire pourra être défendue sans faire contribuer tout le monde, notamment les plus riches."
Le programme du NFP finalement appliqué par Michel Barnier ?
Faire contribuer les plus riches pour renflouer les caisses de l'Etat, c'était précisément l'une des mesures principales préconisées par le Nouveau Front Populaire (NFP), arrivé en tête au terme du second tour des élections législatives. Si le président de la République a catégoriquement refusé de confier les clés du pouvoir à la coalition de gauche, cette partie de son programme pourrait-elle être finalement appliquée par le gouvernement Barnier ?
Au moment de défendre les mesures de justice sociale du programme du NFP, l'économiste Thomas Piketty, cité par 20 Minutes, assurait en tout cas qu'il était "tout à fait inutile d’augmenter les impôts sur les revenus plus faibles, et essentiel de commencer par mettre à contribution les milliardaires et multinationales afin d’envisager de demander des efforts à ces niveaux de revenus". Si on imagine mal Michel Barnier s'en remettre à des solutions de gauche, la nécessité de taxer les plus riches est aussi invoquée par des économistes plus proches de ses idées politiques.
La crainte d'une fuite des grandes fortunes "très exagérée"
"La question de la fiscalité des très hauts revenus et patrimoines se pose pleinement, ne serait-ce que pour des raisons d'équité", abonde le président du CAE, pourtant loin d'être un organisme identifié comme marxiste. Associé au Premier ministre et composé d'économistes indépendants, ce groupe de réflexion a pour rôle d'aider le gouvernement à décider des grandes orientations pour l’avenir de la nation.
Sans épouser complètement le programme du NFP, le CAE semble donc partager certaines de ses conclusions sur la nécessité de prendre davantage aux plus riches. Toujours cité par La Tribune, son président délégué Camille Landais juge par ailleurs "très largement exagérée" la crainte d'une "hypermobilité des grandes fortunes" pour échapper aux taxes.
Modifier l'impôt sur le revenu ?
Dans le programme du NFP, l'effort supplémentaire demandé aux classes les plus aisées passait notamment par une transformation de l'impôt sur le revenus, avec le passage de 5 à 14 tranches censé permettre à ceux qui gagnent moins de 4000 euros nets de conserver leur taux actuel (voire de le faire baisser), tandis que le taux de prélèvement serait augmenté pour les personnes gagnant plus de 4000 euros par mois.
Si cette nouvelle répartition a fait l'objet de nombreux commentaires pendant la campagne des législatives, elle ne constituait qu'une partie mineure du plan de recouvrement du NFP auprès des plus riches. Thomas Piketty soutient ainsi que dans le programme qu'il a contribué à rédiger, "les recettes nouvelles viennent pour l’essentiel de l’impôt sur les grandes fortunes et de l’impôt sur les multinationales, et non pas de l’impôt sur le revenu".
Rétablir l'ISF ?
Le rétablissement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimé en 2018, semble en effet pouvoir constituer un poste de recettes très rentable pour l'État. Comme l'expliquent un rapport du think tank Terranova et un article du site MoneyVox, l'objectif du NFP était plus précisément de bâtir un tout nouvel impôt, une sorte de "super ISF" pouvant permettre de "multiplier par trois les recettes de cet impôt, qui rapportait à l'époque de 4 à 5 milliards d'euros par an".
Cette idée d'un ISF renforcé avait notamment été inspirée par les travaux de l'économiste Gabriel Zucman. Dans un rapport rendu au G20 en juin dernier, ce dernier préconisait en effet un "impôt minimal de 2% sur les ultra-riches", qui pourrait être obtenu en taxant "les avoirs sur les sociétés, les dividendes ou les bateaux de luxe, par exemple", comme l'énumère Franceinfo.
Des "hausses temporaires de taxes" à prévoir
Compte tenu des idées politiques de Michel Barnier et de celles de ses probables alliés au sein du futur gouvernement, il semble toutefois peu probable de voir ce nouvel ISF se concrétiser prochainement, pas plus d'ailleurs qu'un "impôt sur les multinationales" plus lourd que celui qui a été mis en place en janvier dernier par les pays de l'Organisation du commerce et du développement extérieur (OCDE).
Dans ses dernières analyses, rapportées par Le Figaro, le CAE a toutefois rappelé que les économies réalisées sur les dépenses publiques pourraient difficilement produire un rendement à la "hauteur de l'enjeu". L'organisme estime ainsi que "des mesures temporaires devraient probablement être également prises, telles que des hausses temporaires de taxes ou une sous-indexation généralisée des dépenses et des tranches d'imposition".
"Contrer les possibilités d'évitement"
Concernant ces mesures temporaires, l'économiste Alain Trannoy donne quelques pistes de réflexion dans une tribune publié par Le Monde. Martelant qu'"une augmentation générale de grands impôts comme la TVA ou l’impôt sur le revenu serait une erreur monumentale", l'ancien président de l’Association française de sciences économiques préconise tout de même "une politique d’augmentation d’impôts très ciblés", avec "deux critères" à respecter.
"Cette hausse devrait, d’une part, être temporaire, pour éviter un impact à long terme, et, d’autre part, être non anticipée, afin de contrer les possibilités d’évitement qui réduisent le rendement de l’impôt, proposait le chercheur en mars dernier. Les cibles pourraient être les énergéticiens hors EDF et les entreprises qui rachètent leurs actions, car c’est une stratégie purement spéculative étrangère à la politique de l’offre." Alain Trannoy estime qu'il n'est "pas hors de portée de réussir à recueillir 10 milliards de recettes supplémentaires" sur une année en procédant de la sorte.
Inverser la tendance actuelle à la réduction des impôts, un premier pas
Michel Barnier et ses ministres pourraient-ils s'inspirer de ces propositions de hausse d'impôts dans la perspective de 2025 ? Toutes les options restent sur la table et à ce stade, l'une des plus évidentes et des plus simples à mettre en œuvre serait de mettre fin à la politique d'allégement fiscal menée depuis plusieurs années par Bercy. Ce mercredi, le rapporteur général de la commission des finances Charles de Courson a ainsi clamé : "Il faut arrêter les réductions d'impôts. Il y en a eu pour 60 milliards d'euros depuis 7 ans".
"La situation des finances publiques n'est pas préoccupante. [...] Elle est très grave", alerte @C_deCourson. "Il faut arrêter les réductions d'impôts. Il y en a eu pour 60 milliards d'euros depuis 7 ans, c'est-à-dire grosso modo 2 ou 2,5 points de PIB."#DirectAN pic.twitter.com/sqO5Qm9I5K
— LCP (@LCP) September 18, 2024
Avant même de penser à hausser certains impôts, l'une des tâches du prochain gouvernement devra ainsi être d'inverser la tendance actuelle, consistant à déshabiller les finances publiques au profit du secteur privé. La partie est loin d'être gagnée : en mars dernier, le MEDEF (Mouvement des entreprises de France, syndicat patronal majoritaire) avait par exemple réclamé que l'État tienne sa promesse de suppression de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), précisément ajournée... parce qu'une telle mesure risquait de creuser un peu plus le déficit budgétaire.