Handicap : Les personnes en fauteuil roulant en ont marre d’entendre ces remarques au quotidien
HANDICAP - « Ce sont des superhéros, ça plaît ou ça ne plaît pas. » Critiqué par Sofyane Mehiaoui, joueur de l’équipe de France de basket fauteuil qui lui reprochait des mots « infantilisants » et « maladroits », le champion de judo Teddy Riner a persisté. « Ce qu’ils font, c’est juste extraordinaire », a-t-il commenté sur le plateau de Quotidien lundi 2 septembre, de nouveau, au sujet des athlètes paralympiques.
Le basketteur avait pourtant demandé au judoka de cesser de parler d’eux comme des « super-héros ». « Cela envoie un message : que lorsqu’on est handicapé c’est forcément dur, et donc on a une vie un peu misérable… (...) Je sais que ce n’est pas méchant et qu’il veut nous aider, mais il s’y prend mal », avait précisé le joueur sur son compte Instagram.
Comme lui, de nombreuses personnes en fauteuil roulant, athlètes ou non, souhaiteraient cesser d’être « héroïsées » ou « infantilisées », voire carrément ignorées. Deux femmes, Pascaline, 38 ans, qui vit à Metz avec ses deux enfants, et Élise, 45 ans, à Lyon avec sa fille de 5 ans, ont accepté de nous faire l’inventaire des phrases qu’elles ne veulent plus entendre.
« Vous avez du courage »
Élise. Cette phrase est abominable, en fait. Oui, j’ai le courage de supporter ce que la politique handicap nous fait subir, ça oui. C’est ça qui est difficile, pas le fait de ne pas pouvoir marcher. Et surtout, comme si j’avais le choix !
C’est représentatif du handicap en France : soit on est dans l’héroïsation, soit la charité. Et c’est terrible, car nous, tout ce que l’on veut, ce sont des droits.
Pascaline. Ça, les gens ne vont pas le dire à la mère célibataire de trois enfants qui fait les 3x8 à l’usine, donc pourquoi vous me le dites à moi ? Ma problématique dans la vie, c’est l’accessibilité, tout le reste, ça va bien !
Une variante, c’est : « À votre place, j’aurais pas pu ». Cette phrase sous-entend que la personne se serait donc suicidée plutôt que d’être en fauteuil. C’est violent, quand même. Cela prouve bien que dans l’inconscient des gens, notre vie ne vaut rien.
« Vous avez besoin d’aide ? »
Pascaline. Tout est une question de timing. Parfois, je suis en train de rouler, j’ai mes écouteurs et on m’arrête pour me poser cette question. Et le pire, c’est que lorsque je dis que je n’ai pas besoin d’aide, les gens le prennent mal.
Élise. Cette phrase, c’est tous les deux mètres, tout le temps. Lorsque c’est une proposition, dans un contexte où visiblement on a besoin d’accéder à quelque chose ou d’attraper un produit au supermarché, c’est bienvenu. Mais pas quand on est visiblement occupé ou qu’on fait notre vie.
« Estime-toi heureuse de… »
Pascaline. De voter par procuration quand le vote n’est pas accessible. De pouvoir réserver 48 heures avant une place dans le train et espérer pouvoir le prendre. Ça, c’est tous les jours. On m’a déjà dit aussi : « T’as de la chance d’avoir trouvé un mec ». Mais mon mec, s’il vit avec moi, même si parfois certaines choses sont un peu plus compliquées, c’est par choix ! Et lui aussi, il a de la chance.
Élise. De nombreuses personnes estiment que l’on devrait être en institution et que c’est normal que l’on galère, puisqu’on est handicapé. Pour eux, le monde est fait pour les valides et déjà ils nous tolèrent. On nous donne la charité et on ne devrait pas demander plus.
« Pourquoi t’es en fauteuil ? »
Pascaline. Les gens sont très très intrusifs. Quelqu’un que vous croisez dans la rue et que vous n’avez jamais vu va vous poser des questions sur pourquoi vous êtes en fauteuil, votre vie sexuelle, comment vous faites pour vous occuper de vos enfants. Et la grande question : « Est-ce que tu as eu tes enfants avant ou après t’être retrouvée en fauteuil ? » Il n’y a pas de filtres.
Élise. On a beaucoup de « Comment vous faites pour… ? », « Qu’est-ce qui vous est arrivé ? », souvent de la part d’inconnus, ou par exemple de parents d’élèves que j’ai croisés trois fois dans ma vie. Évidemment, ce n’est pas pareil quand des enfants me demandent à quoi sert le fauteuil, je leur explique volontiers.
« Les pauvres enfants »
Pascaline. Quand ma fille avait 9 ans, une bibliothécaire lui avait demandé si cela ne la dérangeait pas d’avoir une mère en fauteuil. Et de manière générale, quand je me promène dans la rue en famille, les gens ne partent pas du principe que ce sont mon mec et mes enfants.
Une fois, je suis allée aux urgences. L’infirmière régulatrice m’a demandé quelle était ma situation familiale et m’a dit : « Et vous avez osé faire des enfants alors que vous avez une maladie génétique… »
Élise. J’ai eu des remarques quand j’étais enceinte. Par exemple chez un gynéco, chez qui j’ai été pour une fausse couche. À l’époque, j’étais en béquilles et mon mari en fauteuil. Le médecin nous a regardés et m’a demandé : « Vous voulez un enfant, mais comment vous allez faire avec ça ? », en pointant mon mari.
Le contact sans consentement
Pascaline. On me touche systématiquement l’épaule, alors que je déteste le contact. On m’a déjà posé des courses sur mon fauteuil ou sur moi dans le bus ou dans le train, quand il y avait du monde. Une mère m’a même déjà mis son enfant de deux ans sur les genoux, avant d’aller s’asseoir au fond du bus. Il y a tous les gens qui s’appuient sur mon fauteuil, aussi. Ce n’est pas un accoudoir et ça l’abîme, le fauteuil !
Depuis que j’ai un fauteuil électrique, les gens ne le poussent plus sans me demander. Mais quand j’étais dans un manuel, c’était tout le temps, à tel point que j’avais fini par mettre des pics sur les poignées.
Élise. C’est tout le temps, dans l’espace public et même avec des proches. Certains posent leur veste ou leur manteau sur mon fauteuil. Dans les transports, les gens considèrent que le fauteuil, c’est du mobilier urbain. Ils s’y tiennent, posent leur sac sur l’accoudoir, y calent leur valise. J’ai une petite pancarte sur mon fauteuil désormais où c’est écrit : « Je ne suis pas une plante verte, ne me touchez pas sans mon consentement ».
Le tutoiement et l’ignorance
Pascaline. On me tutoie en permanence. Quand j’avais 20 ans, je l’acceptais, mais je vais en avoir 40, un âge où normalement les gens se vouvoient. C’est de l’infantilisation. On n’est pas considérées comme des vraies personnes, donc on nous tutoie.
Élise. Ce n’est pas mon cas, mais il suffit que vous ayez une difficulté d’élocution, une posture différente, par exemple du tronc, la tête un peu penchée, le fait de baver… Les gens vont vous tutoyer.
Il arrive aussi régulièrement que l’on ne s’adresse pas à moi directement, mais à la personne à côté de moi. Dans un café, on va demander à mon accompagnante : « Qu’est-ce qu’elle veut ? », ou même : « Elle est dans quelle institution ? ». À la caisse, parfois je donne ma carte bleue et on la rend à mon accompagnante, avec un : « Est-ce qu’elle veut le ticket ? » en prime. Comme si je n’étais pas là.
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