Guerre en Ukraine : Ces soldats russes ne comprennent pas pourquoi ils se battent

Face à des Ukrainiens bien préparés, plusieurs brigades témoignent de la dure réalité de l’armée russe sur le front dans l’oblast de Donetsk, récemment annexée de manière illégale par Vladimir Poutine.
BULENT KILIC / AFP Face à des Ukrainiens bien préparés, plusieurs brigades témoignent de la dure réalité de l’armée russe sur le front dans l’oblast de Donetsk, récemment annexée de manière illégale par Vladimir Poutine.

GUERRE EN UKRAINE - Alors que l’armée russe se retrouve contrainte de quitter la ville de Kherson face à l’avancée des troupes ukrainiennes, à Donetsk la situation est tout autre, mais toujours pas en faveur de la Russie. Comme en atteste une récente lettre publiée lundi 7 novembre sur un blog militaire russe influent, un certain nombre de soldats d’une brigade des forces russes alertent sur leur situation.

Présentée comme une unité professionnelle et particulièrement bien formée, la 155e brigade des marines de la flotte russe du Pacifique y déplore une « bataille incompréhensible » sur le front où elle est affectée, à Pavlika, près de Donetsk, une région annexée (« illégalement » selon les pays de l’UE) le 30 septembre par Vladimir Poutine.

« Une fois de plus, nous avons été jetés dans une bataille incompréhensible par le général Muradov et son beau-frère, son compatriote Akhmedov, afin que Muradov puisse gagner des bonus pour se faire bien voir aux yeux de Valeri Gerasimov (chef de l’état-major russe) », écrivent-ils dans ce courrier envoyé directement à Oleg Kozhemyako, gouverneur de Primoré, une province russe située à l’extrême sud de la côte orientale de la Russie.

L’offensive russe en question

Et le constat est amer. Notamment sur les pertes humaines et matérielles rencontrées, comme en atteste la suite de la lettre, corroborée par les données de l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW) : « À la suite de l’offensive ’soigneusement’ planifiée par les ’grands commandants’, nous avons perdu environ 300 hommes, morts et blessés au cours des 4 derniers jours », constatent-ils. En réponse, Oleg Kozhemyako a simplement minoré ces chiffres, confirmant au passage l’existence de cette lettre, comme le souligne CNN.

« Nous avons perdu 50 % de notre équipement. C’est notre brigade à elle seule. Le commandement du district et Akhmedov cachent ces faits et faussent les statistiques officielles des victimes de peur d’être tenus pour responsables », ajoutent-ils dans cette rare prise de position contre les choix de l’état-major russe, au point de déposer une plainte, transmise au bureau du procureur militaire selon Oleg Kozhemyako.

Mais les soldats ne s’arrêtent pas là. « Pendant combien de temps des médiocrités comme Muradov et Akhmedov seront-elles autorisées à continuer à planifier des actions militaires juste pour sauver les apparences et gagner des récompenses au prix de la vie de tant de gens ? », questionnent-ils.

Ces mots forts sont remontés jusqu’aux oreilles du Kremlin, au point que le ministère russe de la Défense offre une réponse aux critiques internes formulées, même si cette réponse nie toutes « pertes élevées et inutiles en personnes et matériel ». Le ministère précise à ce titre que les pertes dans les zones de Vouhledar et Pavlivka « ne dépassent pas 1 % de l’effectif de combat et 7 % des blessés, dont une partie importante a déjà repris du service ».

La 155e brigade des marines de la flotte russe du Pacifique, à l’origine de la lettre, était affectée près de Donetsk, dans la ville de Pavlivka.
Capture écran Google Maps La 155e brigade des marines de la flotte russe du Pacifique, à l’origine de la lettre, était affectée près de Donetsk, dans la ville de Pavlivka.

Le grand écart russe

Une situation qui n’est pas sans rappeler celle narrée par le quotidien britannique The Guardian le 7 novembre, sur la situation tout aussi critique de soldats conscrits à Makiivka, toujours dans la région de Donetsk. Aleksei Agafonov, un soldat appelé le 16 octobre suite à la mobilisation militaire partielle souhaitée par Vladimir Poutine, détaille la manière dont la Russie jette par centaines ses soldats conscrits sans préparation ni matériel sur le front. Il évoque des pertes très importantes : seuls 130 conscrits sur les 570 de son unité auraient survécu à une attaque ukrainienne, peu de temps après leur arrivée sur place.

Des récits qui vont d’ailleurs dans le sens d’un récent rapport de l’ISW, indiquant que l’armée russe « gaspille le nouveau stock de personnel mobilisé sur des gains marginaux » au lieu de rassembler suffisamment de soldats pour assurer des succès plus conséquents.

Et à la télévision russe, un grand écart s’opère lorsque le quotidien russe se confronte à la réalité des combats. Face à l’enthousiasme de la présentatrice sur de futures conquêtes, la réponse d’un correspondant de guerre a été sans appel, dans cet extrait diffusé sur la chaîne d’État Rossiya 1.

« En ce qui concerne les agglomérations, y en a-t-il que nous pourrons prendre dans un futur très proche ? Ou bien nous ne comptons-nous actuellement nos succès qu’en mètres et en kilomètres, en avançant très lentement ? », demande-t-elle. Citant un « ami sniper sur le front à Donetsk », le journaliste répond : « Nous avançons de trois centimètres par jour », contraignant la présentatrice Olga Skabeïeva à couper court à la discussion après un silence gênant.

Sans doute conscient de la gronde croissante, le président russe a promis lundi qu’il évoquerait « personnellement avec les Russes » la question du soutien aux soldats mobilisés au front, demandant au passage une grande « attention » aux responsables locaux sur les besoins des soldats au front.

À voir également sur Le HuffPost :

Lire aussi