Guerre en Ukraine : pourquoi l’implication de la Corée du Nord fait craindre une escalade avec la Corée du Sud

Le leader nord-coréen Kim Jong Un lors de la visite d’une base militaire.
STR / AFP Le leader nord-coréen Kim Jong Un lors de la visite d’une base militaire.

INTERNATIONAL - Le ballet diplomatique a commencé il y a plusieurs jours. Avec un entretien téléphonique entre le président de l’Ukraine et celui de la Corée du Sud mardi. Puis une visite de la cheffe de la diplomatie nord-coréenne à Moscou mercredi. Il se poursuit ce jeudi 31 octobre avec une rencontre en « format 2+2 » à Washington : d’un côté le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le ministre de la Défense Lloyd Austin, de l’autre leurs homologues sud-coréens. Au menu de toutes ces discussions : la décision de la Corée du Nord d’envoyer des soldats en Ukraine, et la crainte d’une escalade des tensions en Asie-Pacifique.

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Selon le Pentagone, 10 000 soldats nord-coréens se trouvent actuellement dans la région russe de Koursk, frontalière avec l’Ukraine. 2 000 soldats supplémentaires devraient les rejoindre pour soutenir les troupes de Moscou. Des vidéos, diffusées par Kiev et partagées ci-dessous par la chaîne américaine CNN, montrent des militaires en uniforme faisant la queue pour recevoir des équipements dans un camp d’entraînement russe.

« C’est le scénario cauchemar, réagit Théo Clément, chercheur et consultant, joint par Le HuffPost. Le fait que la Corée du Nord vende ou échange des munitions avec la Russie n’était pas étonnant. Mais cette situation est d’une autre ampleur en termes de coopération politique. »

D’autant plus qu’elle intervient dans un contexte « historique », selon ce spécialiste de la Corée du Nord. Fin décembre 2023, Pyongyang a mis fin à une politique fondatrice de son régime depuis 1948, qui « faisait de la réunification de la péninsule l’un des axes les plus importants de sa politique étrangère ». Toutes les communications avec le Sud ont été arrêtées. Le dynamitage, mi-octobre, de routes et voies ferrées reliant les deux pays « fait partie de cette politique visant à — littéralement — couper les ponts avec le Sud ».

Une « répétition générale » avant l’affrontement avec le Sud ?

Sur le front de la guerre, difficile de prédire l’impact qu’auront les quelques milliers de soldats nord-coréens. Ils ne devraient pas faire « une grande différence d’un point de vue opérationnel », estime Marie Dumoulin, du think-tank ECFR (Conseil européen pour les relations internationales), interrogée par l’AFP. Dans des communications dévoilées par des médias, des soldats russes s’interrogent même sur « ce qu’[ils] vont bien pouvoir faire » de ces recrues nord-coréennes sans expérience du terrain.

Pour autant, la manœuvre est scrutée de près par la Corée du Sud. Le président Yoon Suk Yeol a fait part de sa « grave inquiétude » face aux intentions de son voisin, avec lequel il est encore théoriquement en guerre — aucun traité de paix n’ayant été signé après l’arrêt des hostilités et l’armistice de 1953. « Le fait que le Nord acquière une expérience de combat dans le conflit russo-ukrainien », pour la première fois depuis la guerre de Corée au début des années 1950, crée « un risque grave pour la sécurité nationale de la Corée du Sud », s’est inquiété le chef de l’État.

« Les analystes conservateurs sud-coréens peuvent y voir une répétition générale avant un affrontement avec Séoul », analyse Théo Clément. L’armée de Kim Jong Un, qui n’a pas l’expérience d’une guerre moderne, pourra être « au contact d’équipements européens ou américains qui circulent sur le front ukrainien », ce qui représente une « source de renseignements ». Au-delà de l’aspect militaire, la coopération avec la Russie permet à la Corée du Nord « d’échapper au régime des sanctions », en obtenant « des ressources financières, techniques, technologiques, ou des matières premières comme du pétrole ».

Un déséquilibre dans toute la région

De son côté, Séoul suit traditionnellement une politique consistant à ne pas fournir d’armes vers des zones de conflit actif. Mais dans les faits, cet exportateur majeur d’armements livre à des alliés de Kiev qui fournissent eux-mêmes l’armée ukrainienne. Il a par exemple vendu pour des milliards de dollars de chars, avions ou lance-roquettes à la Pologne. Ce qui fait dire à Ramon Pacheco Pardo, professeur au King’s College de Londres, que les deux Corées sont engagées dans une « guerre par procuration ». « Le Sud soutient déjà militairement l’Ukraine de manière indirecte et le Nord approvisionne directement la Russie. Nord et Sud obtiennent des informations précieuses de cette guerre », explique-t-il au Guardian.

Le président sud-coréen a annoncé vouloir étudier la possibilité de changer sa politique pour envoyer des armes en Ukraine. « Mais il faudra réussir à faire passer le message auprès du public sud-coréen » qui y est majoritairement opposé, selon Théo Clément. Cela pourrait aussi nécessiter « des changements constitutionnels », note Euan Graham, de l’Institut australien de stratégie politique, auprès du Guardian.

Au-delà d’un conflit Nord-Sud, la situation fait craindre un déséquilibre de toute la région. « Tout le monde est très inquiet de voir la Corée du Nord se lancer dans cette espèce d’aventurisme, constate Théo Clément. Mais personne ne l’est autant que la Chine. » Comment Pékin, soutien essentiel du régime nord-coréen, qu’elle considère comme son pion dans la région, va-t-elle regarder ce partenariat entre Moscou et Pyongyang ? « Elle va devoir trouver un équilibre dans un jeu quadrangulaire avec la Russie, l’Occident et la Corée du Nord », estime le spécialiste.

Pour Théo Clément, « beaucoup d’États européens ont fait comme si ce pays n’était pas leur problème ». Or, « il y a un univers parallèle dans lequel cela aurait pu être évité, si on avait réussi à nouer des relations sincères de coopération avec la Corée du Nord. À l’heure actuelle, la Corée du Nord aurait pu être en train d’exporter du blé plutôt que des hommes ».

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