Guerre en Ukraine: des mères et épouses de soldats russes mobilisés défient le Kremlin

Dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux, mères et femmes de Russes mobilisés appellent à ce que leurs proches combattent dans des conditions dignes. Un mouvement pris au sérieux par le pouvoir.

Vidéo après vidéo, devant une caserne militaire ou simplement dans la rue, emmitouflées et collées les unes aux autres, des épouses et mères de soldats russes mobilisés défient le Kremlin. Elles réclament toutes que leur mari ou fils combattent dignement, et que le pouvoir tienne ses promesses. Le 21 septembre, Moscou avait promis qu'aucun homme mobilisé ne serait envoyé en première ligne.

Mais deux mois plus tard, alors que le conflit s'enlise, force est de constater que le pouvoir russe n'a pas tenu parole. Selon les chiffres de l'armée russe, 80.000 des 300.000 hommes mobilisés depuis septembre se trouvent dans des zones de combat. De nombreuses remontées d'informations font état de soldats sous-équipés, sans vêtements chauds ni nourriture, quand ils ne sont pas utilisés comme de la chair à canon.

En octobre, une vidéo de jeunes hommes mobilisés par Moscou avait fait le tour des réseaux sociaux. Ils y dénonçaient leurs conditions de vie et l'impréparation des autorités depuis Belgorod, près de la frontière ukrainienne. "Nous vivons dans des conditions terribles depuis une semaine, absolument horribles", avait lancé l'auteur de la vidéo. "La majorité des gens n'ont ni casque ni protection", avait abondé un autre.

"Vladimir Poutine, vous êtes un homme ou pas?"

Face à ce constat, les femmes ont décidé de prendre le relais en Russie, et de se faire entendre sur les réseaux sociaux, seul espace où la liberté d'expression est encore relativement possible dans un pays où les médias sont muselés. Sur Telegram, elles se regroupent par ville, et interpellent le pouvoir.

"Par tous les moyens, nous essayons d'appeler au dialogue avec les autorités, pour que ce ne soit pas uniquement des faux échanges, mais pour que les autorités répondent directement à nos questions. Vladimir Poutine, vous êtes un homme ou pas? Aurez-vous le courage de nous rencontrer directement, ouvertement?", déclare derrière la caméra de son téléphone Olga, mère de soldat, fondatrice du "Conseil des mères et des épouses".

D'après Le Monde, ce sont les femmes de Voronej, qui ont été les premières à se mobiliser de la sorte, le 5 novembre.

"Nous nous adressons au gouverneur et aux instances supérieures, nous vous demandons d'aider nos mobilisés. Ils ont été emmenés en première ligne et abandonnés par leur commandement", avaient-elles déclaré devant la caméra.

Peu à peu, des mères et épouses d'autres communes se sont ralliées à leur mouvement. La mobilisation se concentre avant tout dans les régions russes proches de l'Ukraine. Ce sont les mobilisés de ces zones qui ont été envoyés les premiers sur le front ukrainien.

Toujours selon Le Monde, certaines femmes ont même été jusqu'à camper sur une base militaire près de la frontière russo-ukrainienne. Par volonté de ne pas trop crisper le pouvoir ou par idéologie, elles ne remettent pas fondamentalement en cause la guerre en Ukraine. Elles réclament cependant plus de transparence sur les missions affectées à leurs proches, et exigent qu'ils combattent dans des conditions dignes.

Une rencontre avec Poutine le 27 novembre ?

Au Kremlin, l'initiative semble être prise au sérieux. Comme le rapporte Courrier International, Vladimir Poutine devrait recevoir le 27 novembre prochain, date de la fête des mères russe, des proches de soldats. Mais les femmes qui se font actuellement entendre sur les réseaux sociaux dénoncent déjà l'initiative, avançant que le maître du Kremlin ne va rencontrer que des personnes triées sur le volet, non-représentatives du mouvement.

La possibilité même d'une rencontre avec le président russe montre néanmoins le sérieux avec lequel est pris ce mouvement informel.

"Le pouvoir n'a pas intérêt à les arrêter. Je pense que le Kremlin va donner un petit peu pour calmer ce mouvement-là, qui risquerait, s'il n'est pas suffisamment pris en compte, de rallier d'autres parties de la population, et notamment les manifestants anti-guerre", a expliqué à BFMTV Carole Grimaud, chargée de cours en géopolitique de la Russie à l'université Paul Valéry de Montpellier.

Renaissance du Comité des mères de soldats

Ce n'est pas la première fois que le pouvoir russe a à composer avec la colère des épouses et des mères. Durant les deux guerres de Tchétchénie, de 1994 à 1996 et de 1999 à 2009, le Comité des mères de soldats, créé en 1989, avait marqué les esprits. Ces dernières se battaient pour récupérer leurs fils faits prisonniers, mais également les retirer du front.

Interrogée par Le Monde en septembre dernier, Valentina Melnikova, présidente du Comité, indiquait avoir repris du service face au conflit en Ukraine, recevant des centaines de requêtes par jour.

"Nous ne serons jamais capables d’exercer autant d’influence qu’à l’époque de la Tchétchénie. C’était une guerre sur le sol russe et nous avions l’oreille des belligérants. Nous pouvions accompagner les mères à la recherche de leurs fils. Aujourd’hui, malgré les drones et les satellites, c’est un conflit fermé qui se joue en Ukraine", avait-elle cependant mis en garde.

Article original publié sur BFMTV.com

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