Guerre en Ukraine : derrière l’incursion de Kiev, la Russie gagne du terrain dans l’Est depuis deux semaines
De durs combats continuent de se dérouler dans le Donbass ukrainien, où les forces de Moscou sont en supériorité numérique.
Un coup de poker à la réussite très incertaine. Depuis le début de l’offensive ukrainienne dans la région de Koursk le 6 août, Volodymyr Zelensky affirme que ses troupes se sont emparées de 1 250 km2 et de 92 localités en territoire russe. Ce mercredi 21 août, Kiev a même lancé l’une des plus grandes attaques de drones sur Moscou. Une percée inédite sur le sol russe depuis le début de la guerre en Ukraine, qui masque une dynamique parallèle bien moins positive pour les Ukrainiens.
L’un des objectifs de l’assaut ukrainien à Koursk, dans l’ouest de la Russie, est de forcer l’armée russe à déplacer des troupes et affaiblir sa pression plus au sud du pays. Mais pour le moment, l’armée du Kremlin résiste et accélère même sa conquête des régions de Donetsk et Lougansk, dans le Donbass. L’annexion de ce bassin minier, situé au sud-est de l’Ukraine, est devenue le principal objectif de Vladimir Poutine depuis l’échec de son invasion à Kiev en mars 2022.
Pokrovsk dans le viseur russe
« Chaque jour, la Russie reprend des villes et des villages dans le Donbass », confirme Ivan Savchuk, docteur en géographie, contacté par Le HuffPost. Preuve en est, la Russie a revendiqué, mardi 20 août, la capture de New York, dans le Donetsk, présentée comme une importante plate-forme logistique des troupes ukrainiennes. « Cette bourgade concentre aussi l’un des plus grands centres européens de traitement des déchets de l’industrie chimique. Si une frappe touche cette usine cela peut provoquer une catastrophe écologique », ajoute le chercheur ukrainien.
Plus nombreuses et mieux équipées, les troupes moscovites ont surtout dans le viseur Pokrovsk, toujours dans le Donbass. Depuis des mois, elles avancent en multipliant les batailles dans des localités voisines -Avdiivka en février puis Otcheretyne en avril- et sont désormais à 10 km de cette ville.
Plus de 53 000 personnes dont près de 4 000 enfants vivant dans cette agglomération ont dû fuir, sur ordre du gouverneur de l’oblast, Vadym Filachkine. « Quand nos villes sont à la portée de pratiquement toutes les armes ennemies, la décision d’évacuer est nécessaire et inévitable », a-t-il justifié lundi sur les réseaux sociaux.
Moscou veut prendre le contrôle de son chemin de fer
Viser Pokrovsk est stratégique, car elle se trouve à l’intersection d’une route importante qui approvisionne les principales garnisons ukrainiennes du front de l’Est. Moscou sait aussi que la prise de la ville affaiblirait Kiev sur le plan économique et énergétique, complète Ivan Savchuk. Le chercheur à l’EHESS explicite : « Pokrovsk possède une importante mine de charbon, essentielle à son industrie sidérurgique. Surtout, elle alimente les centrales thermiques du pays. En la visant, Moscou veut perturber l’approvisionnement en électricité des habitants et des militaires ukrainiens. »
À six kilomètres à vol d’oiseau au sud de Pokrovsk, la localité de Toretsk, une autre ville minière de l’oblast de Donetsk, est sous les bombes russes ces deux dernières semaines. Et à environ 64 kilomètres à l’est de Pokrovsk, des combats intenses sont également en cours autour des villages de Pivnichne et Zalizne, où les forces russes ont lancé « un assaut massif » dimanche matin, rapporte CNN.
Le contrôle de ces localités donnerait la voie libre à la Russie pour mettre en oeuvre un projet ferroviaire vertigineux de 700 km, lancé en novembre 2023. Vladimir Poutine a annoncé en avril que la première partie du chemin de fer reliant la ville russe de Rostov-sur-le-Don à la Crimée occupée était désormais « opérationnelle ». « La prochaine étape pour Moscou est en effet de prendre le contrôle des routes et d’utiliser sa voie ferrée pour apporter plus facilement du matériel au front », détaille Ivan Savchuk.
Zelensky réclame l’utilisation des armes à longue portée
Pour Kiev, la prise de Pokrovsk serait une lourde défaite. D’abord, elle marquerait une avancée majeure russe dans le Donbass, premier objectif de Moscou dans cette guerre. Ensuite, elle signifierait que Kiev a échoué à repousser les troupes de Moscou du front est en lançant son offensive le 6 août.
Quinze jours après son assaut, l’Ukraine sent d’ailleurs déjà que ses forces militaires ne suffiront pas pour faire face à celles de son occupant russe. La semaine dernière, pour prendre des villes du Donbass, la Russie a utilisé plus de 40 missiles, 750 bombes aériennes guidées et 200 drones d’attaque contre des villes et des villages ukrainiens, a déploré Volodymyr Zelensky dimanche. Démuni, le président ukrainien a appelé lundi ses alliés occidentaux à autoriser Kiev à frapper la Russie avec les armes à longue portée livrées par ses alliés occidentaux, afin d’« arrêter l’avancée » de l’armée russe dans l’est de l’Ukraine.
D’autant que l’automne pourrait freiner aussi l’offensive de Kiev à Koursk avec la « raspoutitsa » (ou « saison des mauvaises routes »), rappelle Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques, à l’AFP. Les blindés à roues sont « très efficaces l’été pour contourner, être mobile, avancer. Mais avec la pluie, la neige et la boue, ils deviennent un cauchemar car ils s’embourbent », explique-t-il. Et Moscou « peut vouloir les laisser progresser, puis tenter de les encercler. La réserve stratégique de l’Ukraine serait alors neutralisée ». Si Kiev s’embourbe à l’Ouest et est bloquée à l’Est, elle aura perdu sur tous les fronts.
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