Guerre en Ukraine : La crise dans le Haut-Karabakh montre comment la Russie a perdu de son rôle d’arbitre sur son propre terrain
INTERNATIONAL - Moscou est-elle toujours le gendarme du Caucase ? Au lendemain de l’attaque de l’Azerbaïdjan visant l’enclave du Nagorny Karabakh, les séparatistes arméniens ont annoncé, ce mercredi 20 septembre, qu’ils déposeront les armes et négocieront dès jeudi la réintégration de cette région revendiquée depuis trois décennies par Bakou. Un accord trouvé après une médiation des forces russes de maintien de la paix.
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, Moscou joue un rôle de médiateur dans le Karabakh, cette région montagneuse peuplée à majorité d’Arméniens mais reconnue comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Les cessez-le-feu des deux précédentes guerres entre Bakou et Erevan, respectivement en 1994 et 2020, ont été mis en œuvre sous l’égide de la Russie. Encore une fois ce mercredi, les séparatistes arméniens ont souligné le « rôle crucial » de Moscou dans l’arrêt des combats.
Pourtant, depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, l’influence de la Russie dans le Caucase semble sur le fil du rasoir.
Non-intervention russe lors du blocage de Latchine
« La guerre en Ukraine a changé la donne, car les Russes ont porté moins d’attention et de ressources en Caucase du Sud. Forcément, l’Azerbaïdjan s’est senti les mains un peu plus libres », analyse Laure Delcour, maîtresse de conférences en science politique à l’Université Sorbonne-Nouvelle, contactée par Le HuffPost.
Pour preuve de la perte de vitesse des troupes moscovites dans la région, le contingent de « maintien de la paix » russe, composé de 2 000 soldats censés protéger l’Arménie en vertu de l’accord de paix du 9 novembre 2020, n’a pas pu empêcher cette année les accrochages à répétition entre les deux pays. Moscou a notamment failli dans sa mission de sécurité en septembre 2022, lorsqu’une attaque de l’Azerbaïdjan visant des villes arméniennes a tué 200 militaires arméniens, ainsi que trois civils.
Les tensions ont culminé entre les deux parties en décembre 2022, avec le blocus de l’enclave par l’Azerbaïdjan. Depuis neuf mois désormais, 120 000 Arméniens sont coupés du monde par des Azerbaïdjanais, qui bloquent le corridor de Latchine, unique route permettant l’approvisionnement du Haut-Karabakh depuis l’Arménie. Et la Russie n’est jamais intervenue.
Erevan a perçu cette « non-intervention » comme un abandon de la part de Moscou. Excédé par l’incapacité de la Russie à agir au Nagorny-Karabakh, le Premier ministre, Nikol Pachinian, a accusé le président russe, Vladimir Poutine, d’être soit « incapable de maintenir le contrôle sur le corridor de Latchine, soit de ne pas en avoir la volonté ».
Face à l’incapacité russe de venir à son secours, l’Arménie s’est peu à peu rapprochée des pays occidentaux. Pour marquer une rupture avec son allié historique, Nikol Pachinian a annoncé, début septembre, l’organisation d’exercices militaires avec les États-Unis.
Échecs des pourparlers occidentaux
Non seulement l’Arménie se méfie de la Russie depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, mais l’Azerbaïdjan a aussi pris ses distances avec Moscou. Bakou a conscience que « la Russie n’a pas intérêt à une résolution complète du conflit, explique Laure Delcour. Le Haut-Karabakh constitue en effet l’un des derniers leviers d’influence sur l’Azerbaïdjan, un pays riche en ressources énergétiques, qui est bien moins dépendant de la Russie que d’autres pays de l’ex-Union soviétique. »
« L’autre conséquence de la guerre en Ukraine est que, les efforts conjoints des Russes et Occidentaux dans la résolution du conflit du Karabakh sont beaucoup plus complexes », ajoute la politologue, qui estime que depuis un an « les progrès sont davantage morcelés ».
L’Occident a ainsi décidé de faire cavalier seul et d’intervenir dans la médiation du conflit sans la Russie. Des pourparlers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont été organisés au printemps sous l’égide de Washington, puis en juillet par l’Europe, sans grande réussite. « C’est un échec absolu », a dénoncé ce mercredi Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission Défense, devant le Parlement européen. « Nous n’avons jamais nommé l’agresseur [l’Azerbaïdjan] », a-t-elle encore déploré.
Ni l’Occident, ni la Russie n’ont donc réussi à mettre un terme à ce conflit qui dure depuis plus de trente ans. Et pour cause, « la question cruciale du statut du Haut-Karabakh n’a jamais été résolue depuis 1990 et elle ne figure pas dans l’accord de paix trouvé en 2020 », souligne Laure Delcour, qui espère une avancée sur ce point d’achoppement lors des négociations jeudi entre le pouvoir azerbaïdjanais et les Arméniens du Haut-Karabakh.
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