Guerre en Ukraine : Après la mobilisation de Poutine, ces Russes expliquent leur fuite

Vladimir Poutine a annoncé le 21 septembre la « mobilisation partielle » de réservistes pour rejoindre les troupes déjà présentes en Ukraine. Mais de nombreux Russes refusent de participer à cette guerre.

GUERRE EN UKRAINE - Dmitri n’a aucune idée de ce qu’il va faire en Arménie. Mais ce Russe de 45 ans, arrivé jeudi 22 septembre à l’aéroport d’Erevan avec seulement un sac, est sûr d’une chose : il ne rejoindra pas le front de la guerre en Ukraine après la « mobilisation partielle » des réservistes annoncée par le président russe Vladimir Poutine mercredi. « Je ne veux pas aller à la guerre. Je ne veux pas mourir dans cette guerre insensée. C’est une guerre fratricide », explique à l’AFP celui qui a laissé derrière lui sa femme et ses deux enfants.

Comme Dmitri, de nombreux Russes ont fui leur pays ces deux derniers jours pour échapper à une convocation. Après l’annonce de la mobilisation, le prix des vols au départ de Moscou s’est envolé, et ceux vers Israël, la Turquie ou l’Arménie ont été pris d’assaut. Google a même remarqué un pic de recherches pour savoir « comment quitter la Russie » ou « comment se casser un bras à la maison », note le Washington Post.

Des vidéos de bouchons à la frontière avec la Finlande ont par ailleurs fait le tour des réseaux sociaux. Alors que les gardes-frontières ont dans un premier temps parlé d’une « augmentation légère » des passages, en aucun cas « alarmante », le pays a annoncé vendredi après-midi qu’il allait « significativement » limiter l’entrée des citoyens russes sur son sol.

Contrairement à la Finlande, l’Arménie ne demande pas de visa aux Russes entrant sur son territoire. En tout cas pas pendant 180 jours. C’est l’une des raisons qui ont poussé d’autres compatriotes de Dmitri à monter dans le même avion vers Erevan. « La situation en Russie m’a décidé à partir », confie Sergueï, également interrogé par l’AFP à l’aéroport de la capitale arménienne. Il a quitté précipitamment son pays avec son fils Nikolaï, 17 ans : « Nous avons décidé de ne pas attendre d’être appelés à l’armée. Nous sommes partis ».

« Je pars parce que je ne suis pas fou »

Même si aucun chiffre ne permet pour l’heure d’évaluer l’ampleur des départs - le Kremlin parle d’un phénomène « grandement exagéré » -, de nombreux hommes en âge de combattre racontent pourquoi ils ont fui leur pays. L’un d’eux explique par exemple à l’AFP avoir attendu « pendant douze heures » pour passer en Mongolie en voiture. « J’ai peur de la mobilisation », raconte un autre, un Moscovite de 23 ans ayant réservé un vol dès l’annonce de Vladimir Poutine mercredi.

« Je pars parce que je ne suis pas fou et que je n’ai pas envie de mourir », dit aussi un Russe interrogé par BFMTV dans un aéroport. « J’ai l’impression qu’on veut me forcer à mourir pour une cause à laquelle je ne crois pas, une cause dont je n’ai rien à faire », regrette-t-il.

Platon Visilev, lui, était en vacances en Géorgie lorsque la mobilisation a été annoncée. Parce qu’il a une formation militaire, le jeune homme de 25 ans pourrait bien être appelé à faire la guerre en Ukraine. Il a donc décidé de repousser son retour. « J’estime que ce qu’il se passe, c’est inhumain et ça n’a aucun sens, je n’ai aucune envie de participer à cette guerre de Poutine et je pense que la plupart de mes amis pensent comme moi », explique-t-il à BFMTV.

Mais d’autres craignent de quitter la Russie de peur d’être poursuivis pour désertion. Car le Parlement a voté mardi, à la veille de l’annonce de la « mobilisation partielle », un texte prévoyant de lourdes peines de prison pour les déserteurs, rapporte l’AFP. Le texte n’est toutefois pas encore entré en vigueur.

Il inquiète pourtant déjà Alexander, un trentenaire ayant servi dans l’armée russe il y a quinze ans mais n’ayant jamais combattu. Partir ou rester ? C’est un choix « impossible », témoigne-t-il auprès du Guardian. « On sait que cette guerre est bien plus dangereuse qu’ils le disent. Sinon pourquoi auraient-ils besoin d’une mobilisation ? », juge-t-il.

Convoqué « sans explication »

De son côté, Glev a pris sa décision, même si elle est contrainte : il va rejoindre l’armée russe. « Deux policiers sont venus chez moi pour me donner en main propre l’assignation », raconte le jeune homme de 26 ans rencontré par Les Échos. « Je ne veux pas aller à la guerre. Au bureau d’enrôlement, je le leur ai dit. Ils m’ont regardé. Ils m’ont donné deux possibilités : soit départ immédiat pour un centre d’entraînement avant l’envoi au front, soit refus et poursuites judiciaires pour désertion. Entre la guerre et la prison, j’ai fait mon choix », explique-t-il devant un centre d’enrôlement à Moscou. Un baiser à sa compagne, et le voilà parti en minibus vers une caserne avec d’autres appelés.

« Je ne m’attendais pas à devoir partir aujourd’hui, personne ne m’a rien dit le matin », rapporte, hébété, un jeune Russe mobilisé aux côtés de son père. « Ils m’ont donné l’ordre de mobilisation avec l’obligation de venir ici à 15 heures, nous avons attendu 1 h 30, puis l’officier est venu et nous a dit que nous partions maintenant », poursuit-il dans une interview relayée par BFMTV. « Le décret présidentiel stipulait qu’aucun étudiant ne serait recruté, et finalement c’est le cas, ils l’ont recruté sans explication », s’étonne son père.

La mobilisation, « c’est ce que tous les Russes craignaient depuis le début de l’invasion », se désole une mère de famille interrogée par le Guardian. Cette guerre qui se jouait jusqu’ici loin de chez eux s’est désormais invitée dans leurs foyers.

Anna, une Moscovite également mère de famille, a dû prendre une décision radicale : elle a envoyé ses deux fils, dont l’un est âgé de 24 ans, en Arménie cette semaine. « Je m’attendais à cela depuis fin février, confie-t-elle au Washington Post. J’essayais de me calmer en espérant que cette ’opération’ se termine, et je n’ai fait que reporter cette décision. Pourquoi nos enfants devraient-ils sacrifier leur vie ? Nous n’avons jamais voulu de cette guerre. »

À Moscou comme en Sibérie, les mêmes scènes d’au revoir

Même si de nombreux Russes craignent une mobilisation massive, Moscou assure viser pour l’heure une réserve de 300 000 personnes ayant une « expérience militaire ». Et d’après l’état-major russe, près de 10 000 personnes se sont portées volontaires en 24 heures, « sans attendre leur convocation », après l’annonce de Vladimir Poutine.

Était-ce le cas de ces hommes que l’on peut voir dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux, embrassant leur famille avant de monter dans des bus ? Rien ne le dit. Pjotr Sauer, journaliste pour le Guardian, a partagé ces images tournées selon lui dans une localité de Iakoutie, en Sibérie.

Mary Ilyushina, journaliste en Russie pour le Washington Post, a partagé les mêmes scènes tournées d’après elle à Moscou. On y voit « des hommes mobilisés disant au revoir à leur mère en pleurs, écrit-elle. Certains réservistes, auxquels j’ai parlé, disent qu’ils partent s’entraîner ce soir et seront sans doute sur le front dans deux ou trois semaines ».

Selon des spécialistes interrogés par l’AFP, l’armée russe pourrait envoyer rapidement des réservistes effectuer des tâches simples (conduire un camion ou participer à des patrouilles de surveillance) dans des unités en manque d’hommes, mais la formation au combat est bien plus longue. « Cela prendra des mois pour faire la différence si cela le fait jamais », indique ainsi Christopher Miller, spécialiste de la Russie à l’Institut de recherche des relations internationales (FPRI) de Philadelphie.

Ceux qui ont choisi de fuir, eux, se retrouvent désormais au cœur d’un dilemme posé aux pays frontaliers de la Russie et à l’Union européenne : faut-il les accueillir, et si oui comment ? Berlin a déjà fait savoir que « ceux qui s’opposent courageusement à Poutine » pourraient demander l’asile politique en Allemagne. La République tchèque et l’Estonie, elles, ont annoncé qu’elles ne leur offriraient aucune protection.

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VIDÉO - Mobilisation de réservistes en Russie : 10 000 volontaires en 24 heures selon l'armée

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