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"La plus grande erreur a été de préparer une guerre contre une Ukraine imaginaire"

"La plus grande erreur a été de préparer une guerre contre une Ukraine imaginaire"

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a débuté il y a quatre mois. Face à la résistance ukrainienne, Moscou a revu ses objectifs. Après avoir échoué à prendre Kyiv, les forces russes se concentrent désormais dans l’est du pays.

Pour évoquer le conflit et les choix stratégiques du président russe, Euronews a interrogé Sir Lawrence Freedman, professeur émérite d'études sur la guerre au King's College de Londres.

Euronews :

Vous décrivez la guerre de Vladimir Poutine comme "une étude de cas sur l'échec du commandement suprême". Quels sont les principales erreurs ?

Sir Lawrence Freedman :

La plus grande erreur a été de préparer une guerre contre une Ukraine imaginaire. Vladimir Poutine n'imaginait pas l'Ukraine comme un Etat en soi, sans identité nationale, un pays dirigé par un gouvernement illégitime qui n'était pas soutenu par son peuple, ce qui a encouragé la prise de risque lors de l'invasion initiale qui n'était pas justifiée. Il a aussi imaginé qu'il pourrait prendre le pays, pourtant aussi grand que la France, avec une population de 40 millions d'habitants. Il ne pouvait pas réussir selon les plans qu'il avait imaginés.

AP Photo
Les combats en Ukraine se concentrent dans l'est du pays - AP Photo

Euronews :

Vladimir Poutine peut-il quand même gagner la guerre ?

Sir Lawrence Freedman :

Je ne pense pas, selon ses objectifs initiaux. La question maintenant est : peut-il prendre 20 % du territoire ukrainien actuellement occupé par les forces russes ? La difficulté est d'envisager une issue stable. L'Ukraine ne va pas accepter ce genre de partition. Nous savons à travers l'histoire, que ce soit entre le monde arabe et Israël ou entre l'Inde et le Pakistan, que les partitions ne fonctionnent pas bien. Il y a plus d'un millier de kilomètres de ligne de front qu'il faudrait défendre. Et nous savons qu'il y a déjà une sorte de guérilla de la terreur, des mouvements insurgés, dirons-nous, qui opèrent derrière les lignes russes. Ce ne sera pas une situation stable. Bien que l'on puisse imaginer des pauses ou des cessez-le-feu ou autre chose, qui permettent aux deux parties de se ressourcer.

Euronews :

Lorsque l'on observe Vladimir Poutine, il semble totalement imperturbable et ne pas vouloir renoncer à ses objectifs stratégiques. Est-ce que la guerre pourrait s'éterniser pendant des mois, voire des années ?

Sir Lawrence Freedman :

Il pourrait le faire. Je pense que l'hypothèse prudente est que cela va durer un certain temps. Mais vous savez, les guerres prennent des tournures surprenantes. Et si les Ukrainiens parviennent à organiser des contre-offensives, les forces russes seront confrontées à un défi intéressant, à savoir si elles sont tenaces dans la défense du territoire dont elles disposent, comme les Ukrainiens l'ont été dans la défense de leur territoire. Je pense qu'il y a un vrai problème pour Vladimir Poutine de déterminer la fin de cette partie.