Du "grand réchauffement" aux "paysages": ce qu'Eric Zemmour dit de l'écologie

Eric Zemmour lors d'un meeting à Châteaudun, le 7 janvier 2022 - JEAN-FRANCOIS MONIER                 © 2019 AFP
Eric Zemmour lors d'un meeting à Châteaudun, le 7 janvier 2022 - JEAN-FRANCOIS MONIER © 2019 AFP

Alors que l’écologie est dans le top cinq des préoccupations des Français, et que les candidats issus de tout le spectre politique avaient livré -au moins- quelques propositions à ce sujet, Éric Zemmour brillait par son absence. Jusqu’à ce dimanche soir. L'ancien journaliste a partagé sur son compte Twitter ses propositions "paysages et environnement" destinées à la "France des oubliés."

Parmi elles, figure en tête le projet d’"interdire tout nouveau projet de construction d’éoliennes sur terre et en mer", ou encore de "faire émerger une véritable filière industrielle dans le recyclage des plastiques." De quoi retrouver une forme de pureté des "paysages", selon ses termes. D’autres sont moins liées à l’écologie à proprement parler, à l'instar de "l’abrogation de la loi SRU pour stopper la folle expansion du logement social".

"C'est apparu un peu réducteur", reconnaît la personne en charge du programme énergie et environnement du candidat, à BFMTV.com. D'autres mesures seront dévoilée fin janvier-début février. Dont le programme énergie. De grands investissements seraient prévus dans la recherche et l'hydrogène. Pour composer ce programmae, des experts issus des filières aident les équipes. "Ils ne veulent pas apparaître à visage découvert", explique la résidente suisse qui a longtemps travaillé dans le trading des matières premières énergétiques, du gaz au pétrole.

Le "grand réchauffement" contre "le grand déclassement"

En déplacement à Châteaudun, dans la Beauce, pour rencontrer des agriculteurs, Eric Zemmour leur a -un peu- parlé d’écologie. Sans prononcer le terme. "Vous êtes en première ligne face aux conséquences du changement climatique", a-t-il déclaré. En réalité, le candidat de Reconquête!, son mouvement, cherche à se faire connaître dans cette "France des territoires" où il est peu identifié comparé à sa rivale du Rassemblement national, Marine Le Pen.

Certaines de ses propositions s’en font l’écho. À l’instar de celle souhaitant "interdire la construction de nouvelles grandes surfaces et zones commerciales à l’entrée des villes et villages." Tout un pan de son programme est spécifiquement dédié aux automobilistes, proposant notamment de rehausser certaines limites de vitesse ou de supprimer l’interdiction de circuler en ville en fonction de la pollution émise par un véhicule.

En décembre 2020 déjà, celui qui n'était pas encore candidat posait le duel de "la France qui craint le grand réchauffement contre celle qui a peur du grand déclassement" dans une tribune parue dans le Figaro. La seconde devant être la priorité.

Mais pour la porte-parole du candidat écologiste Yannick Jadot, Sabrina Sebaihi, Eric Zemmour serait celui qui est "hors-sol", ne délivrant aucune solution. "Je suis élue d’une ville populaire [Ivry Sur Seine, NDLR], où ce qu’on met dans l’assiette de nos enfants, les jardins partagés, et l’énorme facture énergétique liée au manque de rénovation des logements, sont des thèmes qui importent déjà, pas dans dix ans."

"La bataille idéologique, c’est aussi une bataille d’agenda"

Dans les débats, Éric Zemmour n’a jusqu’ici jamais amené le sujet. Logique, juge Simon Persico, enseignant-chercheur spécialiste de l’écologie politique, pour BFMTV.com:

"Il n’a aucun intérêt à contribuer à la visibilité des enjeux environnementaux car il s’appuie sur d’autres thèmes pour convaincre les électeurs, comme l’immigration ou l’insécurité. La bataille idéologique, c’est aussi une bataille d’agenda", pointe le spécialiste.

Jusqu’à dimanche, seuls trois domaines étaient explorés dans son programme en ligne: la justice, l’immigration et l’économie. Durant les 78 minutes de son premier meeting à Villepinte le 5 décembre, pas une seule n’a été l'occasion d'évoquer le changement climatique. Sans afficher la réduction des émissions de CO2 ou la lutte contre la sixième extinction de masse comme enjeux majeurs de son programme écologique, Eric Zemmour fait peu de mystère sur ses priorités.

"Le problème du climat, c’est la démographie"

Mais difficile de faire l’impasse sur l’écologie en 2022. Alors, quand il est interrogé sur le sujet, Éric Zemmour s’évertue pour le moment à revenir dans son pré-carré. L'éditorialiste a estimé sur CNEWS, en juin, que "le problème du climat, c’est la démographie et l’explosion de la natalité en Afrique et en Asie. Il faut arrêter de parler des conséquences et pas de la cause."

Pour se démarquer, le polémiste a pu tenter d’esquisser un nouveau clivage. "Les seules fois où Éric Zemmour a fait le choix d’intervenir sur le sujet, c’était pour instiller un doute sur l’existence du changement climatique", note le chercheur Simon Persico. Lors de son débat sur BFMTV face à l'insoumis Jean-Luc Mélenchon le 23 septembre 2021, l’ancien polémiste a reconnu l'existence du réchauffement climatique, en glissant qu’il y existe "des débats" au sein de la communauté scientifique: phénomène naturel ou causé par l’activité humaine?

"Eric Zemmour pourrait s’inscrire dans les pas de ce qu’on a pu observer aux États-Unis, où le camp républicain, derrière Trump, est en train de devenir hostile aux idées environnementales", analyse Simon Persico. "Mais poser ce clivage est un pari risqué", nuance-t-il. Si 20% des Français sont climato-sceptiques, selon les chiffres de l’Ademe, l’existence du changement climatique reste largement consensuelle.

Dans son équipe, on rejette cette idée en bloc. "Pour en avoir discuté en face-à-face avec lui, on n'a pas affaire à un climato-sceptique. Ou à quelqu'un qui voudrait amener cet ersatz dans le débat public", insiste-t-on, assurant qu'on ne le reprendra plus.

"Simplement, Eric Zemmour n'aime pas la position des écologistes, assez catastrophiste. Il a aussi un esprit de contradiction assez fort. Il a pu essayer de mettre un peu de doute sur la question." Et d'ajouter: "ce n'est pas seulement une position politicienne, c'est un littéraire. Ce n'est pas son sujet favori et il n'en est pas expert."

"Réinventer une écologie de droite"

Plus probable: incarner un autre type d’écologie. Lors de son duel avec Jean-Luc Mélenchon, l’ex chroniqueur du Figaro a dit souhaiter "réinventer une écologie de droite, enracinée, près de la nature."

Dans son équipe, on l'explique par l'idée d'un "esprit de conservation." Conservation des espaces, soutien conditionné aux chasseurs, cyles fermés... "On veut pas créer de grand chamboulement au niveau de la population qui créera de l'anarchie" explique la chargée de programme, qui souligne que "les trottinettes à Paris, ça ne sert à rien niveau environnement."

Une philosophie que connaît bien Philippe Murer, qui a inspiré le programme de Marine Le Pen en 2017 sur les thématiques environnementales. "Quand on n’a pas d’idées on balance des slogans, cingle-t-il pour BFMTV.com. C’est un programme très pauvre, il n'y a pas d’idées, pas de travail. Comme Marine Le Pen aujourd’hui, il ne propose aucun moyen concret pour relocaliser. Ça reste du domaine de l’incantation", déplore-t-il.

"C’est un classique de la droite d’inscrire l’ordre du monde dans la nature, explique pour BFMTV.com Daniel Boy, directeur de recherche émérite à Sciences Po Cevipof, spécialiste de l’écologie politique. Marine le Pen le faisait déjà en 2017 avec son amour du local: elle était contre les tomates d’Espagne, tout comme elle était contre les immigrés."

Si l'équipe d'Eric Zemmour défend, comme Hervé Juvin, en charge du programme environnement du Rassemblement national, ce "localisme vert", elle égrène des mesures plus précises. Parmi elles: des investissements pour être en capacité de recycler en Europe, soutien financier des filières industrielles en ce sens, taxe carbone aux frontières... Reste à voir si leur candidat les défendra sur les plateaux télévisés.

"Foutez-nous la paix avec les éoliennes!"

Pareil sur le nucléaire ou la réindustrialisation: des thématiques classiques à droite, notamment chez Les Républicains. Ce sont d’ailleurs les seules liées à l’environnement sur lesquelles Éric Zemmour est interrogé lors de ses interview. "Je pense aux 100.000 emplois que la France va perdre dans les années qui viennent à cause d’une transition écologique et d’un passage à la voiture électrique, ça me paraît un peu fou", pointait le candidat de Reconquête! dans une longue interview accordée en octobre dernier sur la chaîne YouTube Thinkerview.

"L’idée principale est de ne pas faire retomber sur le public les efforts à faire", relève Daniel Boy. Et de rappeler la phrase-choc lancée en 2018 sur BFMTV par le candidat malheureux à la primaire des Républicains, Xavier Bertrand: "foutez-nous la paix avec les éoliennes!" L'équipe d'Eric Zemmour tient à nuancer sa position. Contrairement au RN, il n'est pas question de démonter les éoliennes, mais de "les laisser mourir de leur belle mort" pour investir notamment dans le thermique.

"Eric Zemmour semble avoir une approche conflictuelle à la nature, avec une forme de domination par l’homme qui va de pair avec sa grille de lecture patriarcale de la société", pointe le chercheur Simon Persico. Une ligne qu'on pourrait rapprocher de son rapport aux femmes, esquissé par l’essayiste dans Le Premier Sexe. "Dans la société traditionnelle, dominée par les valeurs masculines, la femme souffre sans comprendre, mais accepte son sort", écrit-il en 2006. Comme la planète s'il arrive au pouvoir?

Article original publié sur BFMTV.com