Grand Prix du Festival de Cannes 2024, ce lumineux portrait féminin a ébloui la croisette
Un conte moderne ancré dans le réel
Prabha (Kani Kusruti), infirmière à Mumbai, s'interdit toute vie sentimentale depuis le départ de son mari, parti travailler en Allemagne. De son côté, Anu (Divya Prabha), sa jeune colocataire, fréquente en cachette un jeune homme qu’elle n’a pas le droit d’aimer. Enfin, Parvaty (Chhaya Kadam) doit tout laisser derrière elle sous la pression des promoteurs qui transforment la ville.
Lors d'un séjour dans un village côtier, ces trois femmes empêchées dans leurs désirs entrevoient enfin l’espoir d'une liberté nouvelle.
Couronné du prestigieux Grand Prix à la 77e édition du festival de Cannes, All We Imagine as Light est le premier long-métrage de fiction de la cinéaste indienne Payal Kapadia. Pour autant, la réalisatrice n’en est pas à son coup d’essai : à Cannes, en 2021, elle avait déjà été récompensée d’un Œil d’Or du Meilleur Documentaire lors de la Quinzaine des Cinéastes cannoise pour son film Toute une nuit sans savoir.
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Née à Mumbai, où elle a passé une partie de son enfance, Payal Kapadia témoigne une nouvelle fois avec All We Imagine as Light de ses capacités de documentariste. Ancré dans la réalité, son premier long-métrage de fiction porte tous les enjeux d’une enquête sociale moderne et féministe, affichant une pudeur et une délicatesse proche de l’objectivité.
“Je voulais faire un film sur les femmes qui quittent leur ville d’origine et leur foyer pour aller travailler ailleurs, explique-t-elle. Mumbai était le décor idéal. Une autre chose qui m’intéressait, c’est son évolution constante. On assiste à l’heure actuelle à un vrai boom immobilier. Certains quartiers se métamorphosent à vive allure.
Une proportion énorme des hommes qui viennent à Mumbai pour travailler arrivent sans leur famille et ne voient leur femme et leurs enfants qu’une fois par an. Il y a donc un sentiment d’incertitude. Pour beaucoup, cette ville représente sans doute une opportunité unique, mais cela ne veut pas dire que la vie y soit facile, que l’on s’y accomplisse.”
Filmée comme un personnage à part entière, la ville de Mumbai s’arrache à son rôle de décor pour vibrer au rythme de la vie qui y fourmille, faite de labeur, d’amours et de doutes. Ce réalisme, presque cru, permet aux spectateurs occidentaux de saisir pleinement les enjeux humains d’All We Imagine as Light en découvrant la capitale de l’État du Maharashtra indien par des chemins de traverse gorgés d’authenticité et de vie.
“On assiste à une sorte de gentrification [à Mumbai], c’est très étrange à observer quand on a grandi là-bas. Je voulais montrer ça, la vitesse à laquelle la ville se modifie. Dans la scène d’ouverture, par exemple, on peut voir un marché de gros. Vers 7 heures du matin, quand ce marché ferme, le quartier change de visage pour accueillir la population internationale qui y a ses bureaux. La juxtaposition est fascinante : d’un côté des marchés et des vestiges des vieilles usines – traces de ce que le quartier était autrefois – et de l’autre ces grands immeubles, avec leurs enseignes aux néons, où l’on fait des affaires.”
C’est sur cette toile de fond, parfaitement tissée, que s’entremêlent les histoires de ces trois femmes.
Un portrait féminin multiple
Confrontées l’une et l’autre par leur mode de vie drastiquement opposé, la jeune Anu et Prabha, son aînée plus résignée, forme un binôme détonnant semblant illustrer tout le contraste de la société indienne contemporaine.
Prabha, interprétée par Kani Kusruti, est une infirmière expérimentée qui s’est résignée au départ de son époux, mais refuse pour autant de céder aux avances d’autres hommes. Sa cadette Anu, incarnée par Divya Prabha, est elle aussi infirmière et fréquente un jeune musulman sans lui être mariée. Toutes les deux, Prabha et Anu forment une colocation d’apparence contradictoire mais finalement complémentaire.
Placées au cœur de l’intrigue, ces deux personnalités diamétralement opposées, reflet de deux époques, permettent à Payal Kapadia de réfléchir la place de la femme dans la société indienne. “Il y a une contradiction que je trouve très intéressante, explique-t-elle, entre ce sentiment d’indépendance, l’émancipation et même le féminisme, d’un côté, et de l’autre le fait que ces femmes demeurent liées, voire attachées à leur famille d’origine. Même si elles parviennent à cette émancipation, leur famille continue à dicter une part non négligeable de leur comportement social.
Multiple portrait féminin ancré dans la réalité, All We Imagine as Light a été récompensé du Prix du Jury cannois. Une pépite, à découvrir en salle cette semaine.