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Le Grand Jour : "Ces enfants, on va les suivre, ça va au-delà du film"

Tom, Deeghi, Albert, Nidhi... De prime abord, rien ne relie ces quatre adolescents. Ils vivent aux quatre coins du monde, n'ont pas reçu  la même éducation, n'ont pas la même culture... Et pourtant, ils sont reliés par l'aventure unique que constitue Le Grand Jour, le nouveau film documentaire de Pascal Plisson, réalisateur à qui l'on doit déjà le succès surprise de l'année 2013, Sur le Chemin de l'école. 

Qu'il s'agisse d'un combat de boxe à Cuba, d'une audition de contorsionnisme en Mongolie, d'un concours de mathématiques en Inde ou d'une épreuve pour devenir Ranger en Ouganda, tous les quatre ont un rêve et vont tout faire pour le réaliser. Pascal Plisson les a suivis des mois durant pour transmettre leur rage et nous faire vivre leur Grand Jour... 

Ce mois-ci, le réalisateur qui continue de suivre avec attention leur parcours était à Paris en compagnie de trois des enfants du film. Ils se rencontraient pour la toute première fois... 

Allociné : Pascal Plisson, en quoi tous ces enfants sont exceptionnels ?

Pascal Plisson : Ils sont exceptionnels de par la démarche qu’ils ont de se donner les moyens de réussir dans la vie. Ce sont des enfants qui ont une double vie. Ils vont tous à l’école et, puis pendant que leurs copains font du sport ou voient leurs amis, eux, ils vont à l’entrainement, ils vont travailler les mathématiques, ils vont boxer, bouquiner... Ce sont des gamins qui ont su très tôt ce qu’ils voulaient faire dans la vie et ils veulent se donner les moyens de réussir. Pour moi, c’est une forme d’intelligence. Ces enfants-là viennent de milieux où la vie est peut-être plus compliquée que chez nous. Et ils ont conscience un peu plus jeunes de ce qu’ils veulent faire dans la vie.

Les enfants, est-ce que vous avez la sensation d’être mûrs pour vos âges ?

Albert : Moi je sais ce que je veux faire et ce qu’il faut faire pour y arriver. Je sais qu’il faut travailler plus à l’école et s’entraîner plus pour arriver à ce qu’on veut dans la vie.

Nidhi : C’est ainsi que nos vies sont faites, il faut que l’on murisse tôt, il faut que tout soit programmé à l’avance et il faut qu’on sache déjà où on va et comment on fait pour y aller. 

Tom : Etre investis, accepter de sacrifier des choses, être concentré, c'est comme ça qu'on peut atteindre son but… Si vous n’êtes pas investis, si vous ne faites pas de sacrifice, que vous ne savez pas ce que vous voulez, si vous restez bloqués sur cette attitude, vous n’accomplirez pas ce que vous désirez.


Même quand il ne peut pas boxer, Albert s'entraîne sur le toit de son immeuble à Cuba

Pascal, comment vous avez choisi les pays puis les enfants qui deviendraient les héros de votre film ?

Pascal Plisson : J’ai la chance de voyager depuis très longtemps, j’ai parcouru pas mal le monde pour faire des images un peu partout. C’est vrai que sur Le Grand Jour, on est parti très vite dans l’idée de faire 4 ou 5 histoires pluridisciplinaires. L’éventail était tellement large pour aller chercher des enfants qui ont des passions qu’on avait décidé d’aller vers un sport.

On a pris la boxe à Cuba parce que j’adore la boxe et puis Cuba est un pays extrêmement intéressant à filmer et à montrer, surtout aujourd’hui. Et puis, c’est quand même le pays qui a fourni le plus grand champion olympique. Il y a un état d’esprit à Cuba qui fait que tous ces gamins-là, ils boxent pour le drapeau, ils boxent pour leur pays. Le message est intéressant. Ce n’est pas forcément pour l’argent parce que la boxe professionnelle commence aujourd’hui à Cuba. Tous ces gamins, tous ces champions cubains, ils ont boxé pour leur pays. On aurait pu aller au Panama, au Mexique. Mais, on a pris Cuba, parce que le message y est fort.

L’Ouganda, je connaissais bien. J’ai habité 12 ans au Kenya, je connais bien l’Afrique de l’Est. L’Ouganda est un tout petit pays près des grands lacs qui a connu beaucoup de guerres civiles, de dictatures, assez compliquées. Il y a une jeunesse qui a envie de reconstruire le pays et donc de s’impliquer dans le développement de la protection animale. Je trouve intéressant que des gamins comme Tom aujourd’hui, qui viennent de milieux très très modestes, aient envie de s’investir pour défendre cette cause.

 

Ces enfants, on va les suivre pendant des années, ça va au-delà du film"

L’inde… J’avais travaillé avec un producteur indien pour Sur Le chemin de l’école qui nous avait trouvé cette fantastique histoire de ces trois gamins qui vont à l’école en fauteuil roulant. Ensemble, on a réfléchi à ce qu’on pourrait faire en Inde. C’est vrai que le Super 30 est une histoire fantastique. Ça permet à des jeunes Indiens venant de milieux très modestes, qui n’ont pas les moyens de se payer des prépas, de pouvoir passer un concours où seuls 30 sur 10 000 d'entre eux seront sélectionnés. Ils ont ensuite accès à une préparation de 10 mois pour les grandes écoles.

Nidhi, je l’ai rencontrée comme ça. Elle avait un potentiel très intéressant pour réussir. Mais, après c’est des questions de feeling, c’est un regard, la rencontre avec la famille. Quand vous choisissez un enfant comme ça pour un documentaire, vous prenez tout avec : les parents, les grands parents, là où ils habitent. Vous filmez leur vie de tous les jours, Il faut les apprivoiser et il faut qu’ils vous apprivoisent eux aussi. Les gamins ne donnent pas comme ça facilement s’ils ne vous apprécient pas. Il faut passer du temps avec eux, s’investir, il faut qu’ils vous acceptent. Et ça va au-delà du film. C’est une aventure humaine. Aujourd’hui, ils sont en France. C’est des gamins qu’on va suivre pendant des années. Ça va au-delà d’un film.


Nidhi, l'as des mathématiques, en compagnie de sa famille en Inde

C'est-à-dire ?

Pascal Plisson : C'est une vraie aventure. Les chemins de l’école, je vois toujours les enfants. Là, Nidhi, on lui a trouvé une marraine qui prend en charge ses frais universitaires. Tom veut poursuivre ses études et, avec la production, on va les lui offrir. Cuba, c’est différent, mais on est en train de voir ce qu’on peut faire. Albert a beaucoup de talent. C’est un gamin qui peut aller aux J.O. éventuellement au Japon dans cinq ans. Peut-être qu’on va le suivre, faire un sujet sur lui sur du long terme. Donc voilà, on s’investit dans leur vie.

C’est assez rare d’entendre ça...

Pascal Plisson : Ils sont à des âges où ils se construisent, donc ça peut basculer du bon ou du mauvais côté. Mais, ça fait du bien de voir des gamins qui ont envie de se donner les moyens de réussir. Donc, il faut les aider.

Nidhi, est-ce qu’en Inde, il est plus difficile pour les filles d'accéder à l’éducation ?

Nidhi : Oui, bien sûr. Toutes les familles ne soutiennent pas leur fille dans cette démarche. D’une façon générale, on estime que les filles doivent rester à la maison donc on n’investit pas pour les envoyer faire des études. Tout le voisinage, tout l’entourage est aussi concerné par le devenir d’un enfant. 

Tom, est-ce qu’on peut dire que la nouvelle génération en Ouganda s’intéresse plus à la protection de la faune et de la flore ?

Tom : Oui, il y a effectivement beaucoup de jeunes – mais ce n’est pas le cas de tous les jeunes - qui ont vraiment un amour pour la nature et qui ont cette conscience-là de la nécessité de protéger l’environnement. Peut-être que c’est plus le cas dans notre génération que dans la génération précédente.

Albert, qu’est-ce qui te pousse à te donner autant quand tu es sur le ring ?

Albert : En fait, j’ai toujours un stress avant de monter. Je suis nerveux, je me demande comment ça va se passer… Mais, une fois que j’y suis, ça disparaît.


Pour devenir contorsionniste, Deeghi se soumet à un entraînement drastique

Pascal, en commençant le film, vous ne saviez pas forcément qui allait gagner et qui allait perdre parmi Nidhi, Albert, Tom et Deegii. Est-ce que c’était excitant ou est-ce que c’était stressant ? Est-ce ce que vous aviez peur pour leur réussite vu l’attachement que vous leur portiez ?

Pascal Plisson : L’aventure de ce film c’est qu’on a justement vécu la préparation jusqu’au grand jour. Et c’est vrai qu’on était tous anxieux de savoir comment ça allait se passer pour eux. Albert, c‘était très juste, c’était limite. Mais, c’est vrai qu’il ne fallait pas qu’on montre trop nos émotions aux enfants parce que sinon c’était compliqué pour nous de filmer. Evidemment, on souhaitait tous qu’ils réussissent.

Après, l’échec fait partie de la vie. Quelque part pour le film, c’est bien qu’il y ait eu un échec, ça prouve qu’on ne peut pas toujours réussir, qu’il faut rebondir. Mais, on aurait pu avoir quatre succès, quatre échecs… Il aurait pu se blesser. On a filmé leur grand jour tel qu’il s’est déroulé devant nous. On a vécu ça avec eux, c’était assez extraordinaire.

Le documentaire, c'est de l'improvisation maîtrisée"

Il y a avait un scénario mais en même temps, c’est la vie qui dicte ses règles dans un documentaire. Comment on concilie les deux ?

Pascal Plisson : On est obligé d’écrire un scénario. Souvent, on se cache la face en se disant : c’est un documentaire, on n’écrit pas. Ce n’est pas vrai. On peut très bien écrire et être dans l’improvisation. Le scénario permet d’avoir des bases de travail, une chronologie, une réflexion. Après, ce ne sont pas des acteurs, on ne peut pas les diriger, c’est impossible.

Il faut au contraire utiliser le fait que ce soient des gamins qui ne soient pas des acteurs pour aller vers le naturel, l’authenticité. On tourne beaucoup, on fait beaucoup de rushes, en espérant qu’il va se passer un truc ou qu’une phrase va sortir. C’est une espèce d’improvisation maîtrisée. On les met dans un cadre et après on les laisse improviser dans le cadre. Et on tourne…


Amoureux de la faune, Tom étudie les espèces dans l'espoir de devenir Ranger

Est-ce que cette expérience vous a donné envie de voyager, d’aller découvrir les pays et les continents de vos camarades ? 

Tom : Oui, clairement, j’adorerai… Aller en Inde, en Mongolie, à Cuba… Voir mon copain boxer !

Albert : J’aimerai beaucoup voyager. Aller voir les animaux dans les réserves.

Comme dans "Sur le chemin de l’école", il y a dans "Le grand jour " de très belles valeurs qui sont transmises, comme celle du travail, et qu’on ne voit finalement pas tant que ça briller au cinéma.  Est-ce que c’est aussi ce que vous vouliez offrir  au public ?

Pascal Plisson : Dans nos sociétés à nous, il y a plein de gamins qui bossent, qui sont motivés et qui veulent se donner les moyens. Après, c’est vrai que la différence, peut-être, entre nos enfants et eux, c’est qu’ils ont des conditions peut-être plus compliquées. L’échec peut d’être irrémédiable, irréversible, dramatique. Nous, c’est vrai que si on loupe un examen, on peut s’en sortir autrement, il y a d’autres voies possibles. Si Nidhi ne réussit pas à rentrer au Super 30, elle ne sera jamais ingénieur. C‘est terminé.

Le film montre que ça vaut le coup de se défoncer, d’aller au bout de ses passions. J’ai un neveu qui est sportif de haut niveau, qui joue au Stade Français. J’ai pas mal baigné dans le monde du sport et je sais que, dans ce monde, c’est beaucoup de contraintes. Ce sont des gamins qui ont accepté d’avoir des doubles vies. Ils sont à la fois étudiants mais quand leurs copains sortent, eux ils bossent. Il faut que nos enfants à nous se donnent les moyens de réussir et je trouve que nos enfants parfois manquent un peu de rêve.


Pascal Plisson et les enfants du film, pour la première fois à Paris

Quel est votre prochain Grand Jour ?

Tom  : Bonne question (rires). Je pense que mon prochain grand jour, c’est le jour où j’obtiendrai mon diplôme de protection de l’environnement en Tanzanie. 

Nidhi: La première fois où je deviendrai professeur de mathématiques dans un grand institut de technologie.

Albert : J’ai obtenu ma première médaille dans les jeux nationaux à Cuba en juin dernier.

Pascal Plisson : Il va changer d’académie, en intégrer une meilleure. Cela fait un an qu’il est là-bas et maintenant, vu les résultats qu’il a en boxe... C’est un gamin qui risque d’aller assez loin, donc il rentre dans une autre académie où c’est encore plus dur. Plus il va grandir, plus la sélection sera dure. C’est pyramidale… Là, il va être avec des champions importants. Il a une belle carrière devant lui s’il va jusqu’au bout, il peut nous surprendre. Il a du talent. Il va commencer à voyager, faire des concours au Panama, aux Etats-Unis. Il est déjà dans l’équipe nationale et il n'a que 13 ans…

Comment on fait quand on a un rêve difficile à atteindre... pour garder toujours le sourire ?

Tom  : Si vous est engagés, sérieux, que vous faites tout comme il faut, on a le temps de tout, même de sourire (rires).

Pascal, votre précédent documentaire "Sur le chemin de l'école" avait connu un succès phénoménal. Est-ce que vous pensez pouvoir réitérer cet exploit ?

Pascal Plisson : Le chemin de l’école, c’est un phénomène qui se passe une fois, c’est unique. J’en fais un tiers avec le Grand jour, je serai ravi. Peut-être que les gens qui ont aimé le chemin de l’école iront voir celui-là parce qu’on est dans la même veine. Il s’adresse à un public peut-être un petit plus âgé.

Est-ce que pour vous, c'est important qu'il soit montré dans les écoles ?

Pascal Plisson : Il y a déjà beaucoup de scolaire qui sont en demande, oui. Le mercredi de la sortie, il y a 300 élèves, toute une école, qui va voir le film en salles. Le scolaire c’est très important pour nous.

Un Grand jour vécu aux quatre coins du monde :