Gouvernement: Retailleau et Migaud réactivent déjà les tensions entre la Justice et l'Intérieur
Les bureaux de ces deux nouveaux membres du gouvernement ne sont qu'à quelques centaines de mètres l'un de l'autre, mais leurs relations semblent déjà se tendre. Bruno Retailleau, désormais ministre de l'Intérieur et Didier Migaud, garde des Sceaux, se sont exprimés ce lundi sur leur politique. Une première depuis leur nomination le samedi 21 septembre.
Pour sa première prise de parole dans les médias lundi soir, quelques heures après avoir succédé à Gérald Darmanin place Beauvau, l'ex président des sénateurs LR a mis les pieds dans le plat.
Il existe "depuis trop longtemps un droit à l’inexécution des peines" judiciaires, a tancé le nouveau ministre sur TF1, appelant à ce que "les peines et les sanctions tombent" en revoyant "un certain nombre de cadres pour changer la politique pénale".
Problème: ce n'est pas l'Intérieur qui est en charge des condamnations mais bien les fonctionnaires du ministère de la Justice. Même topo pour les maisons d'arrêt. "Il faut construire des prisons", a exhorté Bruno Retailleau, reconnaissant cependant que ce n'était "pas son domaine". De quoi mettre à distance la pression à son collègue de la place Vendôme.
"Moi, je suis ministre de l'Intérieur. Je ne suis pas ministre de la Justice. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut qu'il y ait un dialogue" entre les deux institutions, promettant de parler "très librement", à son collègue, a jugé l'ex sénateur.
Migaud appelle à ce que "l'État de droit soit respecté"
Manifestement soucieux de ne pas enfoncer un coin avec son collègue, Didier Migaud, le nouveau ministre de la Justice, qui prenait la parole lui aussi à la même heure sur France 2, a arrondi les angles.
Bruno Retailleau a "ses convictions", a reconnu le garde des Sceaux, promettant lui "aussi de montrer de l'autorité, de la fermeté", de "faire en sorte qu'il n'y ait pas d'impunité".
Avant une mise en garde policée, en appelant à "faire en sorte que l'état de droit soit respecté, que les procédures soient respectées". Cette pique, toute discrète, peut faire référence à la loi immigration votée en décembre 2023 et dont toute une partie avait été censurée par le Conseil constitutionnel. La quasi-intégralité de ces dispositions venaient de la droite sénatoriale, à l'époque incarnée par Bruno Retailleau.
Vers un potentiel bras de fer sur l'AME
Le nouveau ministre de l'Intérieur a déjà évoqué sur TF1 lundi soir la possibilité de modifier l'aide médicale d'État (AME) aux personnes sans-papiers par décret. La fin de l'AME avait été votée par le Sénat à l'hiver 2023 puis retoquée en commission mixte paritaire.
La situation politique actuelle ne garantit pas qu'un éventuel vote sur la disparition de ce dispositif tourne en sa faveur. De quoi probablement pousser Bruno Retailleau qui a promis "le retour de l'ordre" à vouloir multiplier les décrets en Conseil des ministres qui ne nécessitent, eux, aucun vote.
En visite dans un commissariat à La Courneuve, Bruno Retailleau en a remis une couche sur l'usage des décrets pour "expulser un maximum" les personnes sans-papiers. De quoi restreindre le pouvoir des juges administratifs qui traitent dans leurs tribunaux de nombreux cas de contentieux liés aux tentatives d'expulsion d'étranger et qui dépendent directement du ministère de la Justice.
"Un certain nombre d'échanges" potentiellement tendues
Didier Migaud fera-t-il entendre sa propre partition pour défendre son périmètre? Lorsqu'il était président de la Cour des comptes, l'institution avait signé un rapport jugeant qu'il n'y avait pas lieu de remettre en cause l'AME tout en évoquant "les coûts croissants" du dispositif.
Un autre travail de la rue Cambon évoquait l'engorgement des tribunaux administratifs face aux recours des étrangers, liés notamment à "l'empilement des réformes successives".
Nous aurons "un certain nombre d'échanges avec Bruno Retailleau", a déjà promis le nouveau ministre de la Justice lundi soir sur France 2.
Migaud ne "sait pas" ce qu'il arrivera "à obtenir"
De quoi aplanir leurs relations et respecter ainsi la consigne passée par Michel Barnier. Le Premier ministre a exhorté ses ministres lundi autour d'un petit-déjeuner à éviter les "petites phrases" et à éviter "l'esbrouffe".
Mais le statut quo peut-il vraiment durer entre les deux hommes ? Bruno Retailleau rentre au gouvernement fort de son poids politique et de son influence au Sénat dont le soutien est devenu essentiel pour faire voter les lois.
Didier Migaud, retiré de la vie politique active depuis plus de 14 ans, est la seule figure de gauche à faire son entrée au gouvernement et ne dispose d'aucune troupe.
"Je vais essayer d'apporter ma pierre et de peser au sein d'un gouvernement que le Premier ministre a voulu ouvert et équilibré", s'est défendu le ministre de la Justice ce lundi soir sur France 2.
"Je me battrai, oui", pour faire de la justice "une priorité", a encore expliqué Didier Migaud. "Mais je ne sais pas ce que j'arriverai à obtenir" pour le budget 2025, a cependant reconnu l'ex président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
"Ce n'est pas un gouvernement de clones"
Bruno Retailleau s'est pour l'instant, lui, bien gardé d'aller sur le terrain des finances de son ministère. Dans un contexte de finances publiques particulièrement tendu, le ministre de l'Intérieur pourrait également être tenté de bander les muscles pour faire oublier un éventuel coup de rabot budgétaire sur son périmètre.
Autant dire que les passes d'armes pourraient se multiplier dans les prochains mois, quitte à mettre la pagaille au gouvernement.
"Ce n'est pas un gouvernement de clones", a tenu à défendre Maud Bregeon, la nouvelle porte-parole du gouvernement sur BFMTV ce mardi matin, assurant que tous les ministres se "retrouvent dans le cadre donné" par Michel Barnier.
À voir. Leurs deux prédecesseurs avaient laissé éclater leurs différents à plusieurs occasions, d'une violente dispute en Conseil des ministres en 2021 à des explications tendues par médias interposés sur "l'ensauvagement d'une partie de la société française".
Un classique de la vie politique
À l'époque, Emmanuel Macron n'avait pas pris position en faveur de l'un ou de l'autre de ses ministres. Il faut dire que les relations tendus entre deux ministères sont "quasiment historiques et presque dans leur ADN respectif", jugeait à l'époque l'historien Jean Garrigues pour BFMTV.com.
Robert Badinter et Gaston Defferre, Élisabeth Guigou et Jean-Pierre Chevènement, Brice Hortefeux et Michèle Alliot-Marie, Manuel Valls et Christiane Taubira... Autant de "couples" de ministres qui n'ont cessé de s'opposer.
Michel Barnier sera-t-il du genre à siffler la fin du match ? Réponse en partie dans sa future déclaration de politique générale le 1er octobre prochain où le Premier ministre devrait enfin préciser ses priorités.