Pour son gouvernement, Michel Barnier veut débaucher à gauche, mais ça ressemble à une mission impossible
POLITIQUE - Vouloir n’est pas pouvoir. À peine nommé, le Premier ministre Michel Barnier a joué la carte de l’ouverture, disant souhaiter que son gouvernement soit accessible aussi bien à la droite, qu’aux macronistes et qu’aux « gens de gauche ». Mais cette déclaration a tout du vœu pieux, autant du fait de Michel Barnier que des responsables sur sa gauche.
Soucieux « d’ouvrir sa table » aux sensibilités politiques représentées à l’Assemblée nationale (à l’exception du Rassemblement national), Michel Barnier, homme de droite, a tenté d’amorcer le dialogue avec la gauche. Il a ainsi évoqué la « dette écologique », sa volonté d’une « plus grande justice fiscale », un « débat » pour « améliorer » la réforme des retraites… Insuffisant pour les élus du Nouveau Front Populaire.
Des Écologistes aux communistes, tous les groupes ont promis de soutenir une motion de censure, que la France insoumise envisage de déposer dès l’ouverture de la session parlementaire début octobre. Et même hors de l’alliance du NFP, l’aile gauche de Renaissance se montre circonspecte envers ce Premier ministre qui briguait en 2021 l’investiture LR pour l’Élysée.
Fumée blanche à droite, pas d’étincelles à gauche
« Il a cinquante ans de vie politique monsieur Barnier » et « il n’a jamais rien fait pour les ouvriers, le service public, le social », résume Fabien Roussel sur LCI ce 10 septembre. Le patron du PCF se dit « sans illusion » sur la politique droitière qui sera menée. Et les premiers éléments vont dans son sens.
Il y a d’abord eu les priorités fixées par le Premier ministre : « maîtrise des flux migratoires avec des mesures concrètes », amélioration de l’accès aux services publics, à la santé et au logement… Le nouveau locataire de Matignon a repris une large partie du « pacte législatif » proposé par sa famille politique à Emmanuel Macron cet été. Gérard Larcher, président LR du Sénat, s’en réjouit ouvertement dans Le Figaro ce mardi 10 septembre. Pas idéal pour appâter la gauche même si sur le papier, certaines thématiques, comme l’accès au logement ou à la santé, peuvent lui parler.
Autre mauvais signal pour la gauche : l’hypothèse d’un ministère régalien confié au patron des sénateurs LR Bruno Retailleau. L’élu vendéen incarne l’aile la plus conservatrice des Républicains, tenant d’une politique migratoire dure et opposé à la constitutionnalisation de l’IVG… Sa présence en Conseil des ministres d’un gouvernement Barnier, qui plus est à un poste de poids, sera inévitablement perçue comme un coup de barre à droite toute.
Pire encore : lundi 9 septembre, voilà qu’apparaît la rumeur d’un futur ministère de l’immigration. La gauche s’insurge et Matignon temporise, assurant au HuffPost que « rien n’est acté » à ce stade. Il n’empêche, l’image est dévastatrice : le dernier ministère de l’immigration avait été confié à Brice Hortefeux sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Difficile de faire plus emblématique d’un gouvernement (très) à droite. Sans oublier que le Rassemblement national, qui revendique de placer « sous surveillance » le Premier ministre, menace de censurer un futur gouvernement qui ne répondrait pas à ses attentes.
Pas d’acteurs au casting
Dans ces conditions, inutile de dire que la présence d’une figure du Nouveau Front Populaire dans un gouvernement Barnier est improbable. D’ailleurs, la liste de candidats reste cruellement vide. Un écolo qui rentrerait au gouvernement serait-il exclu du parti ? Inutile de débattre de quelque chose qui n’arrivera pas, balaie samedi sur BFMTV Marine Tondelier. La question ne se pose pas non plus à la France insoumise toujours pas conviée aux tractations à Matignon selon son coordinateur national Manuel Bompard ce mardi 10. « Aucune personnalité du PS ne sera dans son gouvernement, je n’ai aucun doute là-dessus », assure aussi Olivier Faure le 6 septembre sur France Inter.
Même les divisions internes ne jouent pas en faveur de Michel Barnier. Au PS, malgré une brouille interne sur l’échec de l’option Cazeneuve à Matignon, les principaux opposants à Olivier Faure Nicolas Mayer Rossignol et Hélène Geoffroy ont décliné. Le député Jérôme Guedj, qui s’est présenté sans la bannière du NFP et dont le nom a pu être cité, refuse aussi : « Ce n’est pas parce que j’assume des désaccords majeurs avec la direction de LFI, que je suis Macron-compatible », cingle-t-il sur LCI ce mardi. Idem pour Raphaël Glucksmann, aussi en rupture avec LFI et malgré certaines positions (européennes) partagées avec le camp macroniste : « Pas une seule seconde, je ne rejoindrai ce gouvernement », assène-t-il dans L’Opinion.
Même dans l’aile gauche de la macronie, ça ne se bouscule pas au portillon. À l’exemple de Roland Lescure, ministre sortant de l’Industrie, frileux à l’idée de retrouver un ministère et qui prévient dans Libération qu’il n’accordera pas « automatiquement » sa confiance à Michel Barnier. Le micro-parti En Commun, dont les députés siègent avec le groupe Renaissance, a aussi exprimé ses réserves sur la nomination d’un Premier ministre « très droitier ».
Si on fait le compte des « + » et des « - » à intégrer un gouvernement Barnier, les contre l’emportent largement. D’une part, parce que la durée de vie de ce gouvernement est incertaine et dépend en partie de l’humeur des députés du RN. D’autre part, parce qu’avec tant de signaux à droite, le poids réel de ministres de gauche (si jamais il s’en trouvait) promet d’être infime. Se pose alors une quesiton : rompre avec sa famille politique pour (ne pas) peser dans un gouvernement fragile au mépris de ses valeurs, cela vaut-il vraiment le coup ? La gauche aura vite fait de faire les comptes.
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