Le gouvernement Barnier ne pouvait pas faire plus mauvaise rentrée (et c’est parti pour durer)
POLITIQUE - Un couac spectaculaire et une première passe d’armes. En demandant à ses ministres fraîchement nommés de cultiver une forme d’humilité, voire de discrétion dans l’action, lundi, lors d’un petit déjeuner de rentrée à Matignon, Michel Barnier n’imaginait sans doute pas de tels premiers pas.
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En trois jours, le gouvernement a montré peu ou prou tout le contraire. D’un côté, le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a réactivé le clivage police-justice en un rien de temps, avec son offensive contre le « laxisme judiciaire. » De l’autre, le ministre de l’Économie s’est fait recadrer pour son positionnement vis-à-vis du Rassemblement national.
Autant de bisbilles en place publique qui seront à l’ordre du jour de la réunion des chefs des groupes parlementaires du « socle commun » autour de Michel Barnier ce mercredi après-midi. L’occasion de tourner la page de ces débuts cauchemardesques ? Rien n’est moins sûr, tant ces premières tensions reflètent les fragilités de l’alliage qui soutient l’exécutif et relèvent les contradictions qui le parcourent.
La « faute » de Barnier
La journée de mardi et l’humiliation infligée à Antoine Armand promettent en ce sens de laisser des traces en Macronie. Le nouveau ministre de l’Économie s’est effectivement fait sèchement recadrer par Michel Barnier, après avoir exclu le Rassemblement national de l’arc républicain quelques minutes plus tôt dans la matinale de France inter.
Le chef du gouvernement a même pris soin d’appeler Marine Le Pen pour la rassurer et calmer la fronde naissante à l’extrême droite. Résultat des courses : le RN se repaît bruyamment de tenir le gouvernement dans sa main, la gauche moque un exécutif qui donne à la fille du fondateur du FN le rôle de « Première ministre bis » et certains, au sein du camp présidentiel, montent au créneau.
Si les chefs à plumes restent silencieux, plusieurs députés ont apporté leur soutien à Antoine Armand et dénoncé, là aussi publiquement, les méthodes « RPR » du Premier ministre. « Je n’ai pas fait d’alliance avec Madame Le Pen, moi j’ai été élu à l’issue d’un front républicain qui a dit des choses clairement. Ou alors, il faut que le Premier ministre nous dise aujourd’hui qu’il a un accord avec le RN », a par exemple tonné le député MoDem Erwan Balanant dans les couloirs de l’Assemblée, mardi. Pour lui, Michel Barnier a commis une « faute. »
Lignes incompatibles ?
Sur la même ligne, plusieurs macronistes expriment leur colère en coulisse, et certains leur malaise sur les réseaux sociaux. « Antoine Armand est légitime, comme moi, comme les millions de Français qui ont voté pour le front républicain, à considérer que le RN ne fait pas partie de l’arc républicain », écrit par exemple la députée Stella Dupont. Il n’empêche, cette position n’est pas celle de Matignon.
En réalité, le coup de téléphone de Michel Barnier à Marine Le Pen n’est pas le premier geste de cet exécutif à l’égard du Rassemblement national. Sans doute pas le dernier non plus, vu le rôle accordé aux lepénistes et la situation précaire du chef du gouvernement, lequel doit sa nomination, avant tout, à la mansuétude du parti d’extrême droite, qui l’a placé « sous surveillance. »
Une sorte de fragilité originelle qui contribuera encore à faire éclater les fissures au grand jour, entre des macronistes – surtout tendance aile gauche – qui ont fait de la lutte affichée contre le RN une des raisons de leur engagement et des représentants de la droite dure. Surtout quand ceux-ci ne perdent pas de temps pour endosser leurs habits et mettre la pression pour peser sur la ligne de l’exécutif.
Retailleau met déjà la pression
C’est le cas de Bruno Retailleau. Le nouveau ministre de l’Intérieur a mis le gouvernement sous tension, plus particulièrement son collègue à la Justice, quarante-huit heures seulement après sa nomination. Dès lundi soir, le ténor du parti Les Républicains est allé sur les plates-bandes de Didier Migaud en appelant sur TF1 à « changer une politique pénale qui, depuis très longtemps, a laissé s’installer ce droit à l’inexécution des peines ».
Réplique immédiate du garde des Sceaux, la seule prise venue de la gauche (il a quitté le PS en 2010), depuis le 20 heures de France 2 : Bruno Retailleau « doit savoir que la justice est indépendante dans notre pays ». Puis, le lendemain : « Le laxisme de la justice n’existe pas. » Des échanges, là aussi, qui attestent de désaccords profonds… et sans doute durables.
Ce mercredi, le ministre de l’Intérieur insiste de nouveau pour « faire évoluer notre arsenal juridique », après l’arrestation du suspect du meurtre d’une jeune étudiante à Paris, un Marocain dont l’obligation de quitter le territoire a suscité maintes réactions, en particulier à l’extrême droite. Entre-temps, plusieurs cadres de la macronie, dont Yaël Braun-Pivet et Élisabeth Borne, ont repris des dirigeants LR sur la suppression de l’AME. Un énième sujet de tensions au sein la nouvelle coalition. Tant pis pour le mantra du Premier ministre, « agir avant de communiquer. »
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