Gilets jaunes: atteinte par un tir de LBD en 2018, une femme jugée "co-responsable" de ses blessures

Nicolas Tucat

Sophie Lacaille a été blessée par un tir de LBD en marge d'une manifestation à Bordeaux dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes en 2018, à laquelle elle ne participait pas. La justice estime qu'elle a commis une "imprudence fautive".

Le 8 décembre 2018, 264 personnes étaient blessées en France dans le cadre de "l'acte 4" du mouvement des gilets jaunes. Parmi elles, Sophie Lacaille. Cette femme a reçu un tir de LBD dans le cou en marge de la manifestation alors qu'elle était en week-end en famille à Bordeaux (Gironde). Demandant que la faute de l'État soit reconnue, elle s'est vue dernièrement jugée "co-responsable" de ses blessures, selon ses avocates.

Il était aux alentours de 17 heures quand Sophie Lacaille sort du restaurant avec sa fille. Originaire de Normandie, elle était venue voir comment était installée son enfant, étudiante fraîchement arrivée à Bordeaux. Dans les petites rues du centre-ville, les deux femmes, connaissant mal la ville, s'égarent.

Blessée au cou

Dans ce contexte de grogne sociale, la manifestation bordelaise s'était "rapidement transformée en attroupement violent", notait l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) dans un rapport datant du 22 juillet 2019.

Sophie Lacaille et sa fille, sans participer à la manifestation, se retrouvent à proximité de la place Pey-Berland où des affrontements ont lieu. Alors rue du maréchal Joffre, la mère de famille est atteinte par un tir de LBD au niveau du cou.

"Les circonstances dans lesquelles le tir a eu lieu étaient particulières", note Me Isabelle Delacour, qui défend Sophie Lacaille avec Me Adrienne Durand. "Le policier était en hauteur, elle a été visée précisément."

Prise en charge au CHU de Bordeaux, Sophie Lacaille porte également plainte contre X pour "blessures involontaires avec une incapacité inférieure ou égale à 3 mois". L'enquête, confiée à l'IGPN, est finalement classée sans suite, faute de pouvoir identifier le policier à l'origine du tir.

Reconnue responsable à 25%

La Normande a toutefois persévéré, saisissant la justice administrative pour faire reconnaître la faute de l'État et faire reconnaître les préjudices sur son quotidien qu'elle estime causés par ce tir: séquelles physiques lourdes, avec le port d'une minerve pendant un an, impact psychologique et retentissement sur son activité professionnelle pour cette femme qui a depuis été licenciée.

Dans un arrêt rendu le 21 février dernier, repéré par Rue 89 Bordeaux et que BFMTV.com a pu consulter, le tribunal administratif de Bordeaux a certes estimé que "la responsabilité de l'État" était "engagée" dans ce dossier, sans pour autant qu'une faute soit reconnue. Mais pour la justice, Sophie Lacaille ne serait pas non plus totalement étrangère à cette situation.

Pour le juge bordelais, la mère de famille s'est "maintenue à proximité immédiate des attroupements" alors qu'elle "ne pouvait ignorer les graves incidents intervenus" au cours des rassemblements précédents dans le cadre de la mobilisation des Gilets jaunes.

Il considère que Sophie Lacaille a "commis une imprudence fautive" et est ainsi responsable de ses blessures "à hauteur de 25 %".

L'affaire bientôt rejugée

Les indemnités financières réclamées par la quadragénaire ont de fait été divisées par 10 par le tribunal. La justice a en effet considéré que la perte de son emploi et l'attribution d'un statut de travailleur handicapé n'étaient pas liés à son accident de décembre 2018 mais à "une névralgie cervico-brachial" dont elle souffrait auparavant. Ce que conteste Sophie Lacaille.

"Cette décision du tribunal administratif est anormale", tranche Me Delacour. "Elle remet en cause la liberté d'aller et de venir."

Sophie Lacaille a décidé de faire appel de cette décision du tribunal administratif. "Le juge administratif a tendance à reconnaître facilement la responsabilité de la victime, analyse Me Adrienne Durand, l'autre avocate de la quadragénaire. Mais le dosage est contestable."

Pour exemple, la spécialiste du droit en veut d'autres décisions de justice où la responsabilité du requérant avait également été retenue dans une proportion égale voire inférieure à celle de Sophie Lacaille. A la différence qu'il s'agissait de manifestants qui participaient aux rassemblements ou qui avaient adopté des comportements agressifs.

Article original publié sur BFMTV.com

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