Gaza : quels sont les critères pour évaluer internationalement un "génocide" ?

Un comité spécial de l'ONU a publié un rapport sur les méthodes de guerre d'Israël dans la bande de Gaza, qui présentent les caractéristiques d'un génocide.

GAZA CITY, GAZA - NOVEMBER 14: A Palestinian child receives the food being distributed as Palestinians struggle with hunger due to the embargo imposed on the region in Gaza City, Gaza, on November 14, 2024. Food is being distributed by charitable organizations to those who have taken refuge in the Nuseirat Refugee Camp in the central Gaza Strip after fleeing Israeli army attacks. (Photo by Moiz Salhi/Anadolu via Getty Images)
Une enfant palestinienne reçoit de la nourriture à Gaza, alors que les Palestiniens doivent faire face à des situations de famine à cause de l'embargo. (Photo by Moiz Salhi/Anadolu via Getty Images)

Comment évaluer un génocide ? Cette question est remise sur la table ce jeudi 14 novembre 2024, alors qu'un rapport d'un comité spécial de l'ONU conclut que les méthodes de guerre d'Israël dans la bande de Gaza "présentent les caractéristiques d'un génocide".

L'organisme met en exergue les "pertes civiles massives et les conditions imposées aux Palestiniens sur place mettant leur vie en danger intentionnellement", dans ce rapport qui doit être présenté lundi à l'Assemblée générale de l'ONU à New York.

Le terme de "génocide" a aussi déjà été utilisé par des représentants politiques pour décrire les violentes actions russes en Ukraine. Mais cet emploi est alors sémantique, et non plus juridique, et fait régulièrement polémique parmi les dirigeants internationaux. Alors qu'en est-il de la définition du mot génocide ?

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Le génocide, notion post Seconde guerre mondiale

Le terme "génocide" a été introduit en 1944 par le juriste polonais Raphael Lemkin pour désigner l'extermination systématique de groupes ethniques ou nationaux, en réaction aux atrocités nazies de la Seconde Guerre mondiale. Le génocide, en tant que notion légale, a été formulé par Lemkin en 1944, mais c’est en 1945, lors du procès de Nuremberg, que l'ampleur des crimes nazis a conduit à l'usage officiel du terme.

Ce terme a été intégré dans le droit international en 1948 par les Nations Unies, définissant le génocide comme "un crime intenté pour détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux", explique le Haut commissariat aux droits de l'Homme des Nations Unies. Les actions relevant du génocide incluent "le meurtre, les atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale, la soumission du groupe à des conditions de vie menant à sa destruction, et les tentatives d'empêcher les naissances ou de déplacer des enfants du groupe cible".

En 1948, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide a été adoptée, rendant ce crime punissable en temps de guerre comme en temps de paix. La Cour pénale internationale (CPI) est compétente pour juger des responsables de génocide.

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La distinction entre génocide et crime de guerre repose sur l'intention de détruire un groupe spécifique. Si les crimes de guerre se déroulent en temps de conflit armé, impliquant notamment des meurtres et des traitements inhumains, le génocide vise spécifiquement à éliminer un groupe ethnique, religieux ou national.

Le génocide est ainsi un crime complexe à prouver, et la communauté internationale a souvent tendance à qualifier les violences de crimes de guerre ou contre l'humanité plutôt que de génocide. Les crimes contre l’humanité, par exemple, incluent des actes de persécution politique, raciale ou religieuse, mais ne visent pas nécessairement à anéantir un groupe entier.

Plusieurs événements historiques majeurs ont toutefois été qualifiés de génocide au 20e siècle.

  • Le génocide des Juifs par les nazis (Shoah, 1941-1945) : Le régime nazi dirigé par Adolf Hitler a orchestré l'extermination systématique des Juifs européens, mais aussi des Roms, des handicapés mentaux et physiques, des homosexuels et des opposants politiques. Environ six millions de Juifs ont été tués dans ce qui est aujourd'hui connu sous le nom de Shoah. Ce génocide a été rendu possible par une politique d'extermination méthodique, incluant les massacres de masse dans les camps de concentration et d'extermination, tels que celui d'Auschwitz.

  • Le génocide au Rwanda (1994) : environ 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été tués en l'espace de 100 jours par les extrémistes Hutus. Le génocide a été déclenché après l'assassinat du président Hutu Juvénal Habyarimana. La propagande gouvernementale et l'usage de milices comme les Interahamwe ont joué un rôle central dans l'extermination des Tutsis. Des milliers de personnes ont été tuées de manière systématique, souvent avec des machettes, dans une violence déchaînée. Ce génocide a été reconnu par la Cour pénale internationale pour le Rwanda (TPIR).

  • Le génocide des Khmers rouges au Cambodge (1975-1979) : sous la direction de Pol Pot, le régime des Khmers rouges a cherché à transformer le Cambodge en une société agraire communiste, entraînant la mort de près de deux millions de personnes, soit environ un quart de la population. Ce génocide a été marqué par des exécutions massives, des travaux forcés, la famine et des purges idéologiques. Les minorités ethniques, les intellectuels, les citadins et toute personne jugée "ennemie du peuple" ont été systématiquement persécutées. Les massacres ont eu lieu dans des camps comme Tuol Sleng, transformé en centre de torture, et à Choeung Ek, un site où des fosses communes ont été découvertes. Ce génocide a été reconnu par le Tribunal spécial pour le Cambodge.

Des photos de victimes cambodgiennes prises avant leur entrée au S-21. Les Khmers rouges photographiaient et créaient un dossier pour chaque prisonnier qui entrait dans ce centre de torture désormais connu sous le nom de Tuol Sleng. L’Allemagne nazie avait employé le même procédé pour l’internement des Juifs. (Photo by Satoshi Takahashi/LightRocket via Getty Images)

Selon l'expert et universitaire Gregory H. Stanton, cité par le Musée de l'Holocauste à Montréal, le processus de génocide se déroule en dix étapes.

D'abord la classification (division des personnes entre "eux" et "nous" par des groupes en possession d'autorité), puis la symbolisation (identification et distinction par des vêtements, par exemple), la discrimination (pouvoir politique utilisé), la déshumanisation (assimilation à des animaux), l'organisation (conception des plans de meurtres génocidaires), la polarisation (interdiction d'interaction), la préparation (déportation, isolement, famine...), puis la persécution, l'extermination et enfin, le déni.

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Les génocides, comme celui du Rwanda en 1994, ont suivi ce schéma, où les groupes visés ont été isolés, stigmatisés, persécutés et, finalement, massacrés. Les auteurs de génocides nient souvent leurs actes, effaçant les preuves et réécrivant l’histoire : le génocide est donc particulièrement difficile à traduire en justice.