La galère des assistantes maternelles face aux parents qui ne les payent pas
GARDE - « Non, on ne gagne pas jusqu’à trois fois le Smic. » La « bourde » sur le salaire des assistantes maternelles de Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, évoquant fin octobre à l’Assemblée nationale un montant allant jusqu’à trois fois le Smic - soit 3900 € - a remué le couteau dans une plaie déjà profonde.
Car en réalité, on en est très loin : le salaire moyen d’une assistante maternelle est de 1495 € net par mois pour 3,3 enfants. « On gagne 4 € de l’heure, précise Agatha, 47 ans, assistante maternelle agréée depuis 14 ans à La Réunion. Ils ne connaissent pas du tout la réalité du terrain. »
Outre les bas salaires, de nombreuses assistantes maternelles affirment faire face à des impayés ou des ruptures abusives de la part de leurs employeurs. Sur Facebook, plusieurs groupes réunissent ces professionnelles en colère et démunies. « Il n’y a plus aucun respect ni aucune reconnaissance de notre métier, regrette Agatha. Les parents essayent sans cesse de négocier, de faire des avenants en rognant sur les heures, ils font leur marché. »
« Licenciée en milieu d’année »
Il y a par exemple les parents qui signent un contrat mais ne viennent jamais déposer leur enfant, sans jamais plus donner de nouvelles. Ou ceux qui s’engagent avec une assistante maternelle juste le temps d’avoir une place en crèche. « Le problème, c’est qu’on ne peut pas faire signer une clause d’exclusivité pour l’année aux parents, souligne Agatha. On se retrouve licenciée, parfois en milieu d’année, avec 15 jours pour se retourner. »
Ou bien ceux qui, au bout de plus d’un an de garde de deux enfants, un matin, ont annoncé à Agatha qu’ils avaient trouvé une « nounou ». « Et qui dit nounou, dit moins cher et non déclaré », ajoute-t-elle. Dans ce type de cas, le préavis à respecter est de quinze jours. Mais les employeurs d’Agatha, après cette annonce, ne donneront plus jamais de nouvelles. « Il manquait 480 €, de salaire et de congés payés », précise celle qui est depuis en attente de jugement aux Prud’Hommes.
Une autre mère d’enfant ne l’a pas payée pendant deux mois puis a déménagé. Elle lui devait 1250 €. Problème : elle n’avait pas déclaré l’assistante maternelle à la CAF. Impossible donc de trouver sa nouvelle adresse et de la poursuivre en justice. Ces situations sont, selon les professionnelles, très courantes.
Une pétition contre les salaires impayés
Et pour Agatha, cette tendance a été aggravée par la crise sanitaire et économique. « Les parents ont de moins en moins de sous aussi, c’est vraiment chacun pour soi », conclut-elle. Une pétition, « Salaires impayés, non récupérés, des assistantes maternelles, malgré gain en justice », a vu le jour sur Change.org, et recense près de 4500 signatures.
À l’origine du mouvement, Alexandra, 40 ans, assistante maternelle en 2018 et 2019. « C’est l’un des boulots les plus épuisants que j’ai faits, c’est vraiment dénigré et sous-estimé », résume-t-elle. Des parents, malgré la signature d’un contrat de 40 heures par semaine pour un enfant de deux ans, ne la paieront pas pendant plusieurs mois. « À chaque fois, ils reportaient, trouvaient des excuses bidon, comme de ne pas avoir d’encre dans leur imprimante », se souvient-elle.
En plus des salaires impayés, elle se retrouve alors sans document de fin de contrat, attestation Pôle Emploi conforme, bulletins de salaire, certificat de travail, ou solde de tout compte… Malgré un jugement en sa faveur aux Prud’Hommes, elle ne récupérera jamais son argent : les parents sont insolvables. En tout, c’est environ 13 000 € partis dans la nature.
« Les fraudes restent impunies »
Les parents auraient pourtant continué durant ces mois impayés à déclarer son salaire et à toucher le complément de libre choix du mode de garde (CMG), une prestation sociale versée par l’Urssaf via Pajemploi et censée financer en partie ou complètement la garde de l’enfant. « Ils gagnent des sous et nous on travaille gratuitement, c’est le monde à l’envers », dénonce Agatha, qui a elle aussi vécu des expériences de ce type.
« Les fraudes restent impunies malgré les signalements », regrette Alexandra. En réponse à ses courriers, Pajemploi lui aurait conseillé de « trouver un accord à l’amiable avec les parents. » Car toute action en justice a un coût. « Pour retrouver un employeur qui a déménagé, c’est environ 250-300 €, pour faire faire une lettre par un huissier, c’est 500 € », détaille Agatha.
Selon les personnes interviewées, un grand nombre d’assistantes maternelles jettent l’éponge et arrêtent le métier. Une tendance qui devrait inquiéter le gouvernement, alors que le secteur est en pénurie. Mais « le gouvernement, la CAF, la PMI, le Conseil général, se renvoient tous la balle, dénonce Agatha. Quand on fait remonter les problèmes, on n’a aucun soutien. »
1800 signalements en 2021
Contactée par Le HuffPost, l’Urssaf confirme que ces problèmes d’impayés « ont toujours été constatés », mais n’a pas noté d’augmentation ou de diminution de leur nombre. En 2021, l’organisme dit avoir reçu 1800 signalements, émanant à la fois de salariés, d’organismes comme la CAF ou de contrôles effectués sur les déclarations des employeurs.
Que se passe-t-il lorsque l’organisme reçoit un signalement de salarié ? « Nous tentons d’abord une médiation entre l’employeur et son salarié, explique Adrien Gauthier. Un courrier est envoyé à l’employeur et on va lui laisser quelques semaines pour nous contacter ou régulariser la situation. » L’Urssaf affirme que 82 % de ces situations « sont régularisées » à ce stade.
Un fonds de garantie
Au bout d’un mois, si la situation n’a pas évolué, un courrier est envoyé au salarié « lui indiquant les voies de recours », c’est-à-dire un signalement au Procureur de la République et une procédure aux Prud’Hommes. Une commission spécifique interne à l’Ursaff existe aussi et se réunit tous les deux-trois mois, afin d’annuler les déclarations et de bloquer les comptes de certains employeurs mauvais payeurs.
De leur côté, les assistantes maternelles réclament qu’un fonds de garantie soit mis en place. « Ce qu’on aimerait, c’est un fonds rétroactif, qui ne soit pas que pour les futurs impayés et qui prendrait en compte toutes les assistantes maternelles déjà lésées », précise Alexandra. Plusieurs propositions de loi ont fait mention de cette possibilité.
La solution proposée est de calquer le système mis en place pour l’aide personnalisée au logement (APL) : verser directement le complément de libre choix du mode de garde à l’assistante maternelle et non plus à l’allocataire. Ce qui ne garantirait pas un salaire complet, mais au moins une partie de celui-ci.
Du côté de l’Urssaf, le fonds de garantie fait partie des « pistes » qui sont explorées, selon Adrien Gauthier, même s’il « est un peu tôt pour en parler ».
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