En Géorgie, des manifestations monstres contre une loi digne de l’ère soviétique

VANO SHLAMOV / AFP

Un texte pour débusquer les « agents de l’étranger », inspiré d’une loi russe, est jugé liberticide et ne passe pas auprès des pro-européens.

INTERNATIONAL - « Non à la loi russe ! » En Géorgie, la contestation continue ce mercredi 8 mars contre un projet de loi sur les « agents de l’étranger », dénoncé comme la copie d’une loi russe liberticide envers les associations et les médias, au lendemain de heurts entre opposants et policiers.

La police géorgienne a fait usage de gaz lacrymogène pour tenter de disperser les manifestants réunis devant le Parlement dans le centre de Tbilissi après avoir leur avoir ordonné de quitter les lieux, a constaté un journaliste de l’AFP.

Quelques instants plus tôt, les forces de l’ordre avaient utilisé des canons à eau pour tenter de faire partir la foule rassemblée pour dénoncer un projet de loi qui menacerait médias et ONG, dans ce petit pays du Caucase qui ambitionne de rejoindre l’UE et l’Otan.

Contre les organisations « agents de l’étranger »

Ces manifestations ont débuté mardi après l’adoption en première lecture par le Parlement d’un texte prévoit que les organisations recevant plus de 20 % de leur financement de l’étranger soient obligées de s’enregistrer en tant qu’« agents de l’étranger », sous peine d’amendes. Selon ses détracteurs, ce projet rappelle une loi similaire adoptée en Russie en 2012 et que le Kremlin utilise pour réprimer les médias et les voix critiques.

Plus de 1 000 protestataires ont remonté mercredi dans l’après-midi la principale avenue de Tbilissi, la capitale de ce pays du Caucase, jusqu’au bâtiment du Parlement, a constaté une correspondante de l’AFP. « Non à la loi russe ! », scandaient des manifestants. La marche, prévue à l’origine pour la journée internationale des droits des femmes, s’est transformée en manifestation contre ce projet de loi.

La Géorgie, une ex-république soviétique marquée par une guerre contre la Russie en 2008, ambitionne de rejoindre l’UE et l’Otan. Plusieurs récentes mesures du gouvernement ont toutefois jeté le doute sur ces aspirations.

Gaz lacrymogènes et canons à eau

L’adoption du projet de loi sur les « agents de l’étranger » en première lecture avait déjà entraîné le rassemblement de milliers d’opposants à Tbilissi mardi soir, des protestations dispersées à coups de gaz lacrymogènes et de canons à eau.

Le ministère géorgien de l’Intérieur a affirmé qu’au moins 66 personnes avaient été interpellées à cette occasion, et qu’une cinquantaine de policiers et des « civils » avaient été blessés lors de heurts. Selon cette source, des protestataires ont jeté des pierres sur la police, en tentant de mener une « attaque organisée » contre le Parlement.

De son côté, dans un communiqué, le parti d’opposition Girch a indiqué que son chef, Zourab Japaridze, avait été violemment matraqué « à la mâchoire » par des policiers lors des protestations de mardi, puis interpellé et placé en détention.

Les manifs comparées à Maïdan

Le président du parti au pouvoir, Rêve géorgien (RG), Irakli Kobakhidze a, lui, dénoncé l’action de « radicaux » et fait un parallèle entre ces protestations et la révolution pro-européenne de Maïdan en Ukraine, en 2014.

« L’Ukraine, au final, a perdu 20 % de son territoire » après cette révolution, a-t-il affirmé, en référence aux territoires ukrainiens conquis par Moscou depuis l’annexion de la Crimée et l’invasion russe de l’Ukraine de février 2022. Pour sa part, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré ce mercredi soir vouloir le « succès démocratique » pour les manifestants de Géorgie.

Signe de l’inquiétude en Occident, le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, a condamné mercredi le projet de loi, le jugeant « incompatible » avec les valeurs de l’UE et l’objectif de rejoindre le bloc européen.

La présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, a elle demandé que la loi soit « abrogée », promettant d’y apposer son veto. Cette loi « est une menace pour la liberté d’expression, la liberté d’opinion, le travail de la société civile (...), mais c’est directement une menace à notre avenir européen », a expliqué l’ancienne diplomate française sur France 24 (à partir de 2 minutes dans la vidéo ci-dessous).

Ce veto pourra toutefois être surmonté par Rêve géorgien, qui contrôle plus de la moitié des sièges au Parlement. Le Premier ministre Irakli Garibachvili, membre de RG, a beaucoup plus de pouvoir que la présidente et suivrait les ordres de l’oligargarque pro-russe Bidzina Ivanichvili, explique le Monde.

Menaces internationales

Selon le président du parti, Irakli Kobakhidze, la deuxième et la troisième lecture du texte ne pourraient toutefois avoir lieu qu’en juin, après la revue du projet de loi par la Commission de Venise, un organe consultatif du Conseil de l’Europe.

Ces dernières années, les autorités géorgiennes ont dû faire face à des critiques internationales croissantes sur un recul présumé de la démocratie qui a porté atteinte aux liens de Tbilissi avec Bruxelles.

« Le projet de loi est contraire aux valeurs et normes de l’UE et incompatible avec les aspirations européennes de la Géorgie », a déclaré au Monde l’ambassadrice de France dans le pays Sheraz Gasri. L’ambassade américaine en Géorgie a pour sa part estimé que la poursuite de ces lois « nuira aux relations de la Géorgie avec ses partenaires stratégiques » et le porte-parole du département d’Etat Ned Price a réitéré la « préoccupation » des Etats-Unis face à cette loi.

La Géorgie a déposé sa candidature pour l’UE avec l’Ukraine et la Moldavie quelques jours après l’invasion russe du territoire ukrainien le 24 février 2022. En juin, l’UE avait accordé un statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie, mais demandé que la Géorgie procède à plusieurs réformes avant d’obtenir un statut similaire.

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