Des généraux russes tentés par une frappe nucléaire: vraie menace ou coup de bluff?
Depuis le début de la guerre, les menaces voilées ou non de Vladimir Poutine au sujet de l'usage de l'arme atomique se multiplient. Des généraux russes auraient même évoqué une telle frappe mi-octobre.
Le New York Times a révélé mercredi que des généraux russes avaient évoqué à la mi-octobre la possibilité d'une frappe nucléaire tactique en Ukraine, et échangé sur sa nature ainsi que sa temporalité. Le journal américain s'est basé sur des sources au sein du renseignement américain pour sortir ces informations, et a précisé que ni Vladimir Poutine ni son ministre de la Défense n'avaient pris part à ces échanges.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les menaces voilées, ou non, de l'usage de l'arme atomique sont légion de la part de Vladimir Poutine, qui a rappelé à de nombreuses reprises que le recours à l'atome était une option sur la table si les intérêts vitaux de la nation russe venaient à être menacés. Début octobre, dans le cadre d'une réunion privée, Joe Biden avait estimé que l'humanité n'avait jamais été aussi proche de l'apocalypse nucléaire depuis la crise des missiles de Cuba en 1962.
"Toujours prendre au sérieux les menaces"
Les révélations du New York Times viennent pour la première fois confirmer que les détails stratégiques d'une telle frappe ont été évoqués en haut lieu. Interrogé sur le sujet, John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, a déclaré:
"Nous prenons ces informations très au sérieux. On surveille cela d'aussi près que possible depuis le début et nous le faisons toujours".
Un point de vue partagé par Claude Blanchemaison, ambassadeur de France à Moscou de 2000 à 20004. "Il faut toujours prendre au sérieux les menaces à peine voilées de l'adversaire. Donc on comprend très bien que les Américains prennent cette menace au sérieux", a-t-il souligné sur BFMTV.
D'autant que selon le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense de BFMTV, le recours à l'arme atomique est une idée plus communément admise en Russie qu'en France: "Dans la doctrine russe, l'utilisation de l'arme nucléaire tactique est plus communément tactique, alors qu'en France, il y a une séparation très nette. On est dans la dissuasion, dans le non-emploi".
Des difficultés sur le terrain
Pour le New York Times, la conversation témoigne du niveau d'inquiétude qui a gagné les gradés russes, alors que les revers se multiplient sur le terrain pour Moscou. Depuis la fin de l'été, Kiev mène une contre-offensive réussie à l'Est du pays, et est parvenu à reprendre plusieurs localités. La ville de Kherson, conquise par la Russie au début de l'invasion, a même été évacuée par Moscou face à l'avancée des forces de Kiev.
Une situation qui peut expliquer la discussion des généraux russes. "Il y a une problématique interne pour les forces russes, qui sont dans une impasse tactique. Il est normal que les généraux russes essaient de trouver une solution", a estimé ce jeudi le général Jérôme Pellistrandi.
Pour Héloïse Fayet, chercheuse au centre des études de sécurité de l'IFRI, les révélations du New York Times font en réalité état d'une situation qui était prévisible.
"Il est tout à fait normal pour des généraux de planifier, d'envisager plusieurs portes de sortie, qui ne sont d'ailleurs pas remontées au ministère de la Défense et au président Poutine. On reste dans la planification, qui on l'espère, est également faite dans d'autres pays", a déclaré la chercheuse.
"En cas d'extrême dernier recours"
La France ne possède pas d'armes nucléaires tactiques, mais uniquement stratégiques. Paris base encore sa stratégie nucléaire sur celle élaborée par le général De Gaulle, estimant que l'emploi de l'atome dans un conflit, peu importe la taille de la bombe, constituait un point de non-retour.
Pour rappel, une arme nucléaire tactique possède une portée restreinte, inférieure à 500km, et dont la puissance est limitée. Les armes nucléaires tactiques actuelles auraient cependant la même puissance que celle larguée en 1945 sur Hiroshima. Soit des conséquences qui seraient dans tous les cas de figure terribles et qui invitent à la prudence dans l'interprétation des volontés supposées de Vladimir Poutine.
"Les Russes ne l'utiliseraient qu'en cas d'extrême dernier recours, comme par exemple le jour où Poutine serait dans la situation où il devrait peut être capituler. On en est très loin, donc l'hypothèse évoquée n'est pas une hypothèse actuelle", a déclaré sur notre plateau Claude Blanchemaison.
Une analyse partagée par le général Jérôme Pellistrandi: "On est rentré dans une guerre qui va durer très longtemps. Poutine sait qu'il a des ressources, l'histoire russe montre que le pays a une profondeur stratégique. Il connaît de très grosses difficultés pour son industrie de défense, mais il s'inscrit dans la durée avec l'idée que l'Occident, si elle fait face à un hiver compliqué, pourrait ne plus soutenir l'Ukraine".
Une fuite pour servir les intérêts américains?
Autre élément permettant de relativiser la situation: les éléments sur lequel se base l'article du New York Times. CNN a indiqué que la conversation tenue par les généraux russes n'avait pas été enregistrée et transmise aux renseignements américains telle quelle, mais que ces derniers se sont basés sur plusieurs éléments de renseignement bruts, qui analysés ensemble ont débouché sur la découverte de cette discussion.
La fuite ayant permis au New York Times de révéler l'existence de cette discussion n'est pas non plus anodine du côté américain. C'est du moins ce qu'a déclaré sur notre plateau Claude Blanchemaison.
"On est à quelques jours des midterms (les élections de mi-mandat aux États-Unis, ndlr). Ce n'est probablement pas tout à fait indifférent que la fuite ait eu lieu à ce moment-là. C'est pour s'assurer de la suite. Si par malheur les républicains venaient à modérer l'aide apporter à l'Ukraine, cela montre que ce n'est pas le moment", a déclaré l'ancien ambassadeur.
Article original publié sur BFMTV.com
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