Frontières, OQTF... Michel Barnier veut un tour de vis sur l'immigration mais reste très flou

Après avoir laissé la main à son ministre de l'Intérieur en la matière, Michel Barnier a donné le ton sur l'immigration ce mardi 1er octobre. Le Premier ministre a tenu à afficher sa fermeté à l'occasion de son discours de politique générale.

Devant les députés, le nouveau chef du gouvernement a appelé à "sortir l'immigration de l'impasse idéologique où les uns et les autres l'ont mise".

"C'est une question que nous devons regarder avec lucidité et affronter avec pragmatisme", jugeant que l'immigration et l'intégration ne sont plus maîtrisées "de manière satisfaisante".

Des annonces sans concret sur les OQTF

Concrètement, le chef du gouvernement a appelé à une meilleure exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), un débat relancé après le meurtre de la jeune Philippine à Paris. Le suspect arrêté en Suisse est un Marocain sous le coup de cette mesure.

Plus largement, la France détient à la fois l'un des records du nombre d'OQTF en Europe (134.280 en 2022 selon la Cour des Comptes), tout en étant aussi le pays où le taux d'exécution des mesures d'éloignement est le plus bas de l'Union européenne. Il atteint 7% contre près de 30% pour ses voisins européens.

Le Premier ministre s'est cependant gardé de précision: compte-t-il mettre la pression sur les préfets qui sont responsables des OQTF? Veut-il se concentrer davantage sur l'expulsion des personnes délinquantes? Les questions sont ouvertes mais de telles consignes ne nécessitent aucunement de passer par la loi. Une bonne nouvelle donc pour Michel Barnier, sans majorité à l'Assemblée.

"Mon gouvernement ne s'interdira pas de conditionner davantage l'octroi de visas à l'obtention de laissez-passer consulaires nécessaires aux reconduites à la frontière", a encore précisé Michel Barnier.

Pression sur les laissez-passer consulaires

Le chef du gouvernement met ses pas dans ceux de Gérald Darmanin. À l'automne 2021, celui qui était alors ministre de l'Intérieur avait décidé de suspendre de moitié les visas français délivrés à des Marocains et des Algériens.

Paris souhaitait alors mettre la pression sur ces pays qui ne coopéraient pas assez au goût des autorités françaises pour récupérer leurs ressortissants vivant illégalement en France. Impossible en effet de les expulser sans accord de leur pays d'origine.

En décembre 2022, Gérald Darmanin avait annoncé un retour à la normale, jugeant que la délivrance des laissez-passer consulaires était revenue à son niveau de 2019. Pas besoin donc passer par la loi pour durcir le ton face aux pays du Maghreb. Mais il faudrait cependant l'accord d'Emmanuel Macron qui ne compte pas lâcher le suivi des Affaires étrangères au profit de Michel Barnier.

Si la tradition veut que le sujet appartienne au "domaine réservé" du président, sans que cela ne soit une obligation constitutionnelle, le Premier ministre préfère, lui, évoquer des "domaines partagés".

Une remise en cause de l'accord entre la France et l'Algérie qui nécessite l'accord de Macron

Michel Barnier pourrait également ouvrir des discussions avec "les pays concernés par des accords bilatéraux conclus de longue date lorsqu'ils ne correspondent plus aux réalités d'aujourd'hui". Avec une idée en tête: les accords bilatéraux en matière de circulation, de séjour et de travail des Algériens en France.

Ce traité signé en 1968, six ans après l'indépendance du pays, a créé un statut unique pour les ressortissants algériens en matière de circulation, de séjour et d'emploi. Très concrètement, ce texte écarte les Algériens du droit commun en matière d'immigration en France. Le regroupement familial leur est facilité comme l'accès à certaines professions, tout en étant plus restrictif sur les visas étudiants.

Les Algériens peuvent également solliciter une autorisation de rester en France pendant 10 ans après trois ans de séjour, contre cinq pour les autres nationalités. 600.000 titres de séjours à des ressortissants algériens ont été accordés en 2022.

Mais là encore, la marge d'action de Michel Barnier à l'égard de l'Élysée se pose encore. Emmanuel Macron n'avait pas apprécié qu'Édouard Philippine soutienne une proposition de résolution LR pour mettre fin à cet accord en décembre dernier, à la fois pour des raisons politiques mais également diplomatiques.

Une possible loi sur la durée de rétention des sans-papiers

Le Premier ministre a également promis de faciliter "la prolongation exceptionnelle de la rétention des étrangers en situation irrégulière". D'abord fixée à 10 jours en 1993, elle a été portée à 90 jours avec la loi Collomb de 2018.

Michel Barnier pourrait donc reprendre à son compte la proposition de loi des LR déposée la semaine dernière qui veut porter à 135 jours la durée de rétention. Un tel texte aurait des chances d'être adopté avec les voix de la droite, du RN, d'une partie de Renaissance et d'Horizons.

Quant aux contrôles des frontières extérieures de l’Europe, le gouvernement compte sur l’application rapide du Pacte européen sur la migration et l’asile.

"La France continuera, aussi longtemps que nécessaire, à rétablir des contrôles à ses propres frontières, comme le permettent les règles européennes, et comme l’Allemagne vient de le faire", a ainsi expliqué Michel Barnier.

Une nouvelle loi immigration très hypothétique

Après les attentats du 13 novembre 2015, la France avait rétabli le contrôle à ses frontières comme le permettent les accords de Schengen.

Ces annonces aux contours relativement flous seront-elles suffisantes au goût de Marine Le Pen qui a brandi la menace d'une motion de censure en l'absence de loi immigration début 2025? Michel Barnier n'a en tout cas pas évoqué à proprement parler de nouveau texte au Parlement pour englober différentes mesures.

Le Premier ministre n'a pas non plus repris à son compte sa demande d'avoir une loi qui reprendrait "a minima les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel" comme le retour du délit de séjour irrégulier, l'instauration de quotas migratoires fixés par le Parlement ou des mesures restreignant le droit du sol.

Il faut dire qu'une telle loi aurait toutes les chances de diviser profondément la coalition gouvernementale. Le camp macroniste a déjà failli imploser l'an dernier sur les mêmes mesures. "On continuera à discuter", a de son côté affirmé la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon ce mercredi sur TF1, promettant des "mesures extrêmement concrètes".

Article original publié sur BFMTV.com