Frappes d’Israël au Liban : cette illustratrice dessine la douleur de voir « son pays de loin sous les bombes »
LIBAN - « Depuis toute petite, j’ai pris l’habitude de voir mon pays de loin, sous les bombes ». Sur ce dessin, une petite fille brune regarde la télévision. Dans un coin de l’écran, où des bombes explosent, un encart précise : Beyrouth, Liban. Cette série de seize dessins, postée sur Instagram le 25 septembre, est vite devenue virale. Et pour cause : elle décrit à la perfection ce qu’est de vivre la guerre à distance, alors qu’Israël a intensifié ses frappes contre le Hezbollah depuis le début de la semaine.
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Diane Sultani Milelli, qui en est l’autrice, est née en France d’une mère libanaise et d’un père français. Elle a grandi dans cette double culture et à 27 ans, vit aujourd’hui dans la Drôme. Elle a accepté de répondre aux questions du HuffPost sur ses dessins, qu’elle a publiés sur son compte Instagram @enattendantlesoleil.
Le HuffPost. Dans quelles conditions avez-vous réalisé cette série de dessins et dans quel état émotionnel ?
Diane Sultani Milelli. Cela fait plusieurs jours que je suis les nouvelles au Liban et que je suis dans un état un peu de paralysie. L’écriture et le dessin sont un peu une réponse à ce sentiment d’impuissance. Plutôt que d’être toute la journée à scroller et regarder les infos sans rien pouvoir faire, je suis allée à mon bureau et j’ai commencé à coucher des choses sur le papier.
C’est avant tout une démarche pour moi-même, pour essayer de me mettre face à mes émotions. C’est une façon d’en faire quelque chose. Je l’ai écrite en plusieurs fois, en faisant des pauses. Et l’objectif est devenu double : déjà, parler aux personnes françaises de mon entourage, pour leur dire comment réagir et à quel point c’est dur de devoir faire semblant, de ne pas pouvoir craquer.
Et aussi, parler aux Libanais et aux personnes arabes, pour leur dire qu’elles ne sont pas seules. Et là où c’est chouette, c’est que j’ai l’impression que ça a touché ces deux publics-là.
Votre post montre aussi la difficulté à gérer l’angoisse de suivre ce qui se passe à distance, tout en étant loin et en sécurité.
Ce sont des moments compliqués parce qu’on se sent à la fois totalement impuissant et extrêmement privilégié, parce qu’on est en sécurité. Parfois, il y a aussi ce sentiment étrange de se dire qu’on aimerait être sur place. On se sent déraciné parce qu’eux sont là-bas et qu’on sent la douleur jusqu’ici, mais qu’on ne peut rien faire. La distance crée une sorte de vide empathique, qui n’a rien de sécuritaire non plus. C’est un pied dedans, un pied dehors.
Avez-vous été surprise que votre dessin soit autant partagé sur les réseaux sociaux ?
Je savais que de nombreuses personnes partageaient cet héritage de douleur commun. Après, j’ai été un peu surprise de voir l’ampleur que cela avait pris. Mon but, c’était de faire passer un message, pas d’attirer l’attention sur moi ou gagner des followers. Je reçois beaucoup de messages de Libanais ou de personnes arabes qui me disent que ça leur a fait du bien, que ça met des mots sur ce qu’ils vivent, et c’est tout ce que je voulais.
On parle du Liban aujourd’hui, mais la guerre continue en Palestine. Vous parlez de « silence » et de « normalisation de l’horreur ». Est-ce que de passer par le dessin permet de contourner aussi la saturation ?
On est confronté au quotidien, sur nos téléphones, à des nouvelles et des images horribles, dans les médias et sur les réseaux sociaux. C’est normal de saturer. Et le fait de passer par le dessin, avec un style très simple, enfantin, ça permet de parler d’émotion, sans repartir dans les faits, l’histoire, les dates. L’émotion, ça relie tout le monde.
Quand vous pensez au Liban, vous évoquez à la fois une « douleur » et une « fierté ». Comment gérez-vous cette dualité ?
C’est le dessin qui m’a permis de me reconnecter à ça. Dès que quelqu’un parlait du Liban ou disait « habibi » (ndlr : « mon chéri » ou « mon amour » en arabe) dans la rue, cela me déclenchait des larmes. Et c’est là que j’ai compris qu’il y avait une douleur enfouie au fond de moi et que j’ai commencé en parler avec ma mère.
Ma mère ne nous a pas transmis, à mes sœurs et moi, sa langue. Et elle a toujours insisté sur le fait que nous étions françaises. Je l’ai compris bien plus tard, à l’âge adulte, mais il y avait une peur chez elle de nous transmettre le Liban, parce que pour elle c’est une douleur. C’était une manière de nous protéger, même si c’est impossible.
Mais je ressens aussi une fierté. Être libanais, c’est constamment réussir à dépasser cette douleur. C’est un peuple qui est connu pour ses capacités à se relever, à faire la fête, malgré tout. Et c’est aussi une fierté parce que le Liban et l’arabité, pour moi, c’est de la chaleur et de la couleur.
Est-ce que ce dessin a provoqué des discussions aussi avec des personnes qui ne sont pas libanaises ?
J’ai reçu aussi des messages d’amis français qui ont pris conscience de ce que je vivais. Ça m’a permis de verbaliser ce dont j’ai besoin dans ces moments-là : d’être écoutée, d’avoir de l’espace, de ne pas faire semblant, de ne pas ressentir un malaise quand je parle du Liban. Et de me dire que c’est ok si parfois je déconnecte, que je lis les news et que j’ai envie de pleurer. Parfois, il suffit d’un câlin. Parce que c’est horrible d’avoir l’impression de casser l’ambiance et de porter cette charge.
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