Hôpital à Gaza: pourquoi l'identification définitive du responsable s'annonce particulièrement délicate

Hôpital à Gaza: pourquoi l'identification définitive du responsable s'annonce particulièrement délicate

Qui est l'auteur de l'explosion ayant coûté la vie à environ 500 personnes à l'hôpital Al-Ahli Arab de Gaza? Mardi 17 octobre, aux environs de 19 heures, la structure accueillant de nombreux civils a été frappée. Immédiatement, le Hamas a pointé du doigt Israël. De son côté, l'État hébreu et son armée assurent qu'un tir raté du Jihad islamique a mené à ce drame.

Depuis, tous se renvoient la balle, en avançant des preuves de la responsabilité d'un camp ou l'autre. Propagande, fausses informations, manque d'un enquêteur objectif... L'enquête pour déterminer le responsable s'annonce difficile.

"Déluge d'intox"

Dès les premières minutes ayant suivi l'explosion, les réseaux sociaux ont été bombardés de témoignages, d'images et de vidéos difficiles à recouper. Des médias comme la BBC et des spécialistes de l'"Osint" (investigation grâce aux données ouvertes) essaient de reconstituer le puzzle. Un travail de fourmis, tant la masse d'informations à vérifier, recouper et revérifier est dense.

Julien Pain, journaliste spécialisé dans les questions de désinformation, a d'ores et déjà souligné le "déluge d'intox", les "informations contradictoires" et les fausses images circulant sur les plateformes comme X. D'une manière générale, depuis le début du conflit, les réseaux sociaux sont devenus un nid à désinformation, comme l'a dénoncé la Commission européenne.

Les pays arabes désignent Israël

Depuis dix jours, Israël bombarde Gaza en réponse à l'attaque terroriste violente déclenchée par le Hamas le 7 octobre. Sans préciser s'il s'agit de soldats ou de civils, le Hamas assure que des milliers de personnes sont morts depuis le début des bombardements à Gaza.

Dans ce contexte, l'organisation a immédiatement dénoncé la culpabilité de l'État hébreu. Un certain nombre d'État arabes partagent ce point de vue, à en croire les manifestations spontanées au Liban, en Jordanie, en Tunisie ou encore en Turquie. Les Émirats arabes unis et Bahreïn ont nommément qualifié Israël de responsable.

"Les Émirats arabes unis condamnent fermement l'attaque israélienne (...) qui a fait des centaines de morts et de blessés", a déclaré mercredi l'agence de presse officielle du pays, WAM.

Israël "juge et parti"

Depuis, Israël clame son innocence et pointe du doigt un tir du Jihad islamique. Documents à l'appui, Tsahal réfute la thèse d'un bombardement perpétré par ses soldats.

L'armée a diffusé plusieurs vidéos, présentées comme des preuves, ainsi qu'un enregistrement audio présenté comme une discussion entre deux membres du Hamas parlant d'un tir de roquette raté du Jihad islamique depuis un cimetière situé derrière l'hôpital.

Tandis qu'Israël apporte des éléments pour se blanchir, les États-Unis lui emboîtent le pas. En visite à Tel-Aviv, le président Joe Biden a déclaré avoir des "données" fournies par le département de la défense" démontrant que l'origine de l'explosion est du fait de "la partie adverse", ou "d'un groupe terroriste". Ce qui peut viser le Hamas comme le Jihad islamique, deux groupes distincts. Deux entités qui ne s'entendent par ailleurs pas.

Ces preuves suffisent-elles à dégager les soupçons qui pèsent sur Israël? Pas vraiment, comme l'explique le Général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV:

"Bien qu'il soit très fort probable que ces informations soient vraies (...) le mal est fait, Israël est considéré comme juge et parti".

Des enquêtes difficilement objectives

Les réponses apportées par Israël pour déterminer avec certitude l'origine du drame ne semblent donc pas suffisantes. Le Hamas pourrait débuter son enquête, mais les résultats de celle-ci risquent fortement de ne pas être jugés crédibles pour une longue liste d'États, puisqu'il s'agit d'une organisation terroriste.

Ni le Hamas ni Israël ne semblent pouvoir apporter de réponse incontestable et neutre en raison du climat de propagande intrinsèque au conflit actif. Reste l'option d'acteurs non-alignés, comme les ONG ou l'ONU, qui a condamné cette attaque via l'OMS, sans identifier d'auteur.

Ces deux options sont cependant difficiles à envisager selon le général Jérôme Pellistrandi. "Les ONG et l'ONU n'ont pas les outils pour suivre les traces de missiles. Pour une enquête à partir des restes au sol, il faudrait geler la scène de crime. Ce qui semble impossible en temps de guerre, où il est si facile de déplacer les preuves pour se couvrir, comme a pu le faire la Russie dans son conflit avec l'Ukraine".

Parmi les preuves qu'il faudrait conserver en l'état: les cadavres des victimes. Les blessures subies pourraient permettre de confirmer l'une ou l'autre des versions. Par exemple, un corps "blasté" laisserait supposer qu'il s'agit d'un bombardement, alors que des corps brûlés impliqueraient plutôt une roquette, et donc l'hypothèse d'un raté des jihadistes.

Auprès de BFMTV.com, l'OMS, première entité à avoir certifié l'attaque, confirme ne pas avoir l'intention, les moyens ou la légitimité pour mener une telle enquête:

"L'OMS ne recueille ni ne vérifie d'informations sur les auteurs d'attentats, car elle n'a ni le mandat ni la capacité de s'occuper de la question des auteurs d'attentats. L'objectif de l'OMS n'est pas de prendre des mesures en matière de responsabilité, mais de sensibiliser en soulignant l'ampleur et les conséquences du problème".

Secret-défense

De nombreux pays pourraient détenir des informations permettant d'incriminer l'un ou l'autre des camps. Reste que pour les acteurs du conflit ou les États tiers, il est délicat de révéler ces données. D'abord pour le risque d'être perçu comme un belligérant. Ensuite pour éviter d'exposer l'étendue de ses connaissances et des outils de ses services de renseignement.

C'est par exemple le cas de la France qui, selon nos informations, "suit de très près" la situation et dispose de "moyens" suffisants pour se faire une opinion sur cette affaire. Mais il serait délicat pour Paris de trop en dire, sauf à l'occasion d'échanges diplomatiques à porte close.

"Toute la lumière devra être faite", a pour l'heure commenté Emmanuel Macron après avoir condamné l'attaque, sans y attribuer d'auteur.

Même si l'un de ces acteurs tiers souhaitait se rendre sur place pour y mener son enquête, il est peu probable que le Hamas ouvre la zone à n'importe qui, surtout s'il risque de voir ses intérêts contrariés.

"On peut voir dans cette situation un parallèle avec l'enquête relative au vol MH17 abattu par la Russie en Ukraine en 2014. Le principal suspect n'accepte pas de laisser l'enquête se dérouler normalement", mets en contexte Xavier Tytelman, consultant aéro-défense.

Dans ce contexte, est-il nécessaire d'attendre une réponse? Pour Gérard Araud, ancien ambassadeur de France en Israël de 2003 à 2006, invité de BFMTV-RMC ce mercredi, une bataille est déjà perdue dans l'opinion publique.

"La vérité sur la responsabilité de la frappe sur l’hôpital de Gaza n’a désormais aucune importance. L’opinion publique a tranché: c’est Israël le coupable. Toutes les explications n’y feront rien. C’est une défaite majeure pour Israël".

Article original publié sur BFMTV.com