France-Afrique du Sud: simples supporters ou joueurs amateurs, ils racontent ce "coup de massue" qui ne passe pas
L’expression du tristement célèbre seum ou simplement la preuve d’une vraie détresse émotionnelle après avoir tant rêvé. Après la cruelle défaite du XV de France contre l’Afrique du Sud (28-29) dès les quarts de finale du Mondial 2023, les joueurs et le staff tricolore ont confirmé accuser nettement le coup à l’image de Matthieu Jalibert, Antoine Hastoy ou Shaun Edwards. Une immense tristesse et une frustration partagée par de nombreux supporters des Bleus.
Si certains ont exprimé leur peine avec violence en adressant des menaces de mort contre Cobus Reinach ou en cyber-harcelant l’arbitre Ben O’Keeffe, d’autres broient du noir depuis ce dimanche et ne veulent plus entendre parler d’ovalie pendant un moment. Et surtout pas d’ici la fin de la Coupe du monde le 28 octobre.
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"Un coup de massue"
Les images et la tristesse d’Antoine Dupont après le quart de finale contre les Springboks ont fait le tour de la planète rugby. Mais le demi de mêlée des Bleus n’est probablement pas le seul Français à avoir pleuré ce soir-là. Contactés par RMC Sport sur les réseaux sociaux, de nombreux supporters du XV de France ont confirmé avoir encore du mal à encaisser ce revers d’un point.
"Je ne m’en suis toujours pas remise. Toujours aussi triste, en colère, déçue", avance une internaute sur X (anciennement Twitter). J’adore le rugby et j’adore l’ambiance, les compétitions, bah là rien que de voir un ballon de rugby j’ai presque envie de chialer c’est horrible. Je suis dégoûtée."
"Nous venons de recevoir les abonnements du Stade Rochelais, je n’étais même pas heureux… Alors que d’habitude c’était l’euphorie et j’avais hâte", se lamente un autre supporter déçu. "Mais alors là… Je vais, par ailleurs, même pas regarder les prochains matchs de la Coupe du monde."
Joints au téléphone par RMC Sport, d'autres fans des Bleus partagent ce ressenti. Là encore, la colère et la frustration semblent l'emporter sur les autres émotions.
"Il y a de la colère par rapport à l’arbitrage, il y a de la colère vis-à-vis des occasions que l’on a gâchées. Je dis 'on' mais je parle des joueurs du XV de France qui restent les premiers concernés. Il y a de la frustration parce que je pense qu’on gagne ce match neuf fois sur dix", explique Pierre Vignal, cadre de la fonction publique et suiveur du XV de France depuis la victoire historique contre les All Blacks en demi-finale du Mondial 1999. Malheureusement, on est tombé sur ce dimanche où on n’était peut-être pas encore prêts sur ce type de match à fort enjeu."
Même constat pour Éloi Bernoud, ingénieur logistique de 26 ans et rugbyman amateur, qui a vécu la défaite des Bleus avec des amis au Stade de France.
"Au début, cela a été très dur. Le soir même et le lendemain du match, cela a été un vrai coup de massue. J’étais vraiment abasourdi", analyse-t-il.
"On aurait pu beaucoup mieux jouer et on aurait pu gagner même avec les quelques fautes d’arbitrage. Abasourdi, on refait le match, on essaye de passer à autre chose en pensant à la prochaine Coupe du monde mais c’est quand même dans quatre ans. C’est un peu irrationnel."
La sensation d’avoir raté l’occasion d’une vie à domicile
L’espoir fait vivre, promet le proverbe mais depuis dimanche, l’espoir fait surtout souffrir. Si les supporters tricolores semblent avoir autant de mal à passer à autre chose, c’est parce qu’ils ont vraiment cru à une victoire de la bande à Galthié. Une victoire lors du quart de finale contre l’Afrique du Sud et, plus encore, un premier sacre à domicile. L’élimination prématurée laisse un goût amer.
"Il y a de la frustration surtout, parce que bien sûr le Mondial était à la maison et aujourd’hui on ne sait pas si on vivra un autre Mondial en France. On pense que oui, mais dans combien de temps, on ne sait pas, regrette encore Pierre Vignal. On ne sait pas non plus s’il y a aura une aussi bonne équipe de France sur le papier. Là il y avait un enthousiasme et une ferveur jamais vus jusqu’à présent."
Et ce fan de l’ASM Clermont Auvergne d’ajouter: "Je soutiens le XV de France depuis 1999 et ce match contre la Nouvelle-Zélande, je n’avais jamais vu une telle ferveur et un tel engouement autour de cette équipe. Tout n’est pas perdu, il y aura d’autres échéances mais même si on gagne le titre dans quatre ans, il y aura ce sentiment que c’est dommage de ne pas avoir gagné en France parce que c’était peut-être leur Mondial. Le Mondial de leur vie. […] Bien sûr il y aura d’autres joies et d’autres titres mais je pense que celui-là restera toujours comme une cicatrice qui ne sera peut-être jamais fermée."
Une occasion loupée par les Bleus mais une opportunité en or de vivre une fantastique communion avec les supporters dans tout le pays.
"Quand je parle de coup de massue, c'est aussi parce qu'il y avait une ferveur énorme. Quel que soit le match, on entendait tout le temps La Marseillaise hurlée par tous les supporters, note de son côté Éloi Bernoud. Je voyais des gens comme mes parents ou mes frères qui ne regardent jamais le rugby, ils étaient désespérés lundi. On voit vraiment que cela a dépassé la sphère du rugby. Et là, tout retombe d'un coup. C'est pour cela qu'on était assommés."
L’arbitrage au centre des débats
Devenu en quelques jours l’ennemi public numéro un des supporters du XV de France, Ben O’Keeffe est très largement jugé responsable de cette défaite française. Depuis plusieurs jours, ses décisions défavorables aux Bleus ont été revues, analysées et critiquées à l’envi. Quand RMC Sport a lancé son appel à témoins sur les réseaux sociaux, l’arbitrage du Néo-Zélandais est très rapidement revenu sur la table.
"Je trouve qu’en France on est très gentils avec l’arbitrage. Même si on peut penser que les supporters râlent beaucoup, dans les autres pays cela râlerait davantage", pointe Pierre Vignal, intervenant régulier d’un podcast consacré à l’ASM auprès de France Bleu Pays d'Auvergne. Et notamment dans les pays anglo-saxons. Il suffit de voir l’exemple du staff de l’Afrique du Sud quand Erasmus avait écrit un courrier après la victoire des Bleus en 2022 où il assassinait, entre guillemets, l’arbitrage en mentionnant toutes les fautes qu’il y avait eues. Il s’était adressé directement à World Rugby. Je pense que cela a eu ses effets."
"Quand on perd d’un point, forcément on va chercher des coupables, des choses que l’on aurait pu mieux faire. Et sur ce match, il y en a énormément, dont l’arbitrage ou les cafouillages sous les chandelles quand on leur donne deux essais, peste Éloi Bernoud. On a fait beaucoup d’erreurs mais quand on perd d’un point, ces erreurs on les ressasse et on se dit qu’à une erreur près on aurait pu gagner."
"Ce qui fait mal c’est de perdre d’un point, comme il y a quatre ans ou comme lors de la finale en 2011. C’est beaucoup d’occasions manquées en Coupe du monde en étant si proche du but", conclut-il, désabusé.
Pour autant, Éloi Bernoud n'en veut pas à Ben O'Keeffe, dont le métier est justement de faire une équipe malheureuse par match. "C’est dur d’être arbitre. Sur le terrain cela va hyper vite. Et puis on ne va pas appeler la vidéo dès qu’il y a une toute petite faute", nuance-t-il. "On parle beaucoup des pénalités, c’est sujet à interprétation des règles du rugby qui sont compliquées. Moi il y a une ou deux actions où j’en veux vraiment à l’arbitre. C’est le coup de tête de Pieter-Steph du Toit sur Jonathan Danty […] Et la deuxième erreur, c’est sur la transformation contrée où, pour moi, Cheslin Kolbe part beaucoup trop vite et qu’il a un pied sur la ligne. Et ça, de base, c’est répréhensible."
Et Pierre Vignal de conclure sur l’arbitrage: "On voit que par rapport aux grandes nations, notamment du Sud, on ne pèse pas. C’est une grosse frustration et même une vraie colère."
"Quand on a des temps morts, on pense au match"
Cette gueule de bois, Pierre Vignal l'avait déjà connue en 2013 et cette finale de Champions Cup perdue par l'ASM contre Toulon (15-16) qui l’avait mis "au fond du seau pendant plusieurs semaines". Depuis dimanche soir, l'amertume s'est réinvitée dans sa vie.
"Lundi, c’était très difficile. Au travail, on pense au boulot mais quand on a des temps morts, on pense au match, se lamente encore ce supporter déçu. Là tout de suite, c’est dur. C’est toujours très difficile et je pense que cela prendra beaucoup de temps."
Même son de cloche pour Éloi Bernoud, perturbé pendant une bonne partie de la semaine: "J’étais vraiment stone. J’étais en télétravail donc je travaillais, mais je n’arrivais pas à réfléchir. J’avais sans cesse une petite voix dans la tête où je repensais au match, aux actions. J’étais complètement déconnecté."
Comment s’en remettre? Couper avec le rugby
Après avoir regardé par passion ou par curiosité une grande majorité des matchs de la Coupe du monde, ces supporters dépités ont clairement perdu cette soif de rugby. Par dégoût après l’élimination du XV de France et aussi, un peu, par peur de souffrir à nouveau si les Springboks venaient à soulever le trophée Webb Ellis le 28 octobre prochain.
"Je pense que je vais regarder la demi-finale entre l’Argentine et la Nouvelle-Zélande mais samedi, non. Je pense que ça sera trop compliqué de regarder. Je n’ai rien contre les Sud-Africains mais ce sera très compliqué si l’Afrique du Sud gagne le Mondial. Là, je pense que ça sera un peu la double lame", souligne encore Pierre Vignal.
Un sentiment partagé par Éloi Bernoud, qui veut aussi couper avec ce Mondial qui l’a tant fait souffrir lors du quart des Bleus: "La suite de la Coupe du monde, je la suivrai de manière beaucoup moins assidue. Forcément parce qu’il n’y a pas les Français mais aussi parce que je n’ai plus très envie de regarder du rugby pour quelques semaines".
Ce rejet du ballon ovale s'est même invité dans sa propre pratique. Troisième ligne au RC Vincennes (Val-de-Marne), Éloi a essayé de couper avec le rugby pour digérer l’échec du XV de France. Au point, même, de sauter l’un de ses trois entraînements de la semaine.
"En tant que joueur je n’ai jamais raté un entraînement sauf si j’avais une bonne excuse. Là mardi, je n’y suis pas allé. J’ai repris jeudi car on a un match ce week-end et qu'on ne peut pas abandonner l’équipe parce que la France a perdu, a poursuivi ce passionné qui a commencé le rugby à l'âge de 11 ans.
"Mais quand j’y suis allé, c’était en traînant des pieds", confie-t-il.
Une pause dans le rugby à la télévision, sur le terrain et aussi au stade pour certains fans. Après y avoir tant cru lors du Mondial, difficile de repasser au quotidien du Top 14 comme si de rien n’était.
"Il y a Lyon-Clermont le 29 octobre. Je n’avais pas forcément envie d’y aller car il y avait l’échéance de la finale de la Coupe du monde. Mais là depuis dimanche, je ne vais pas y aller et je vais rentrer dans le Cantal, confesse encore Pierre Vignal, ce fan des Jaunards installé à Lyon. La semaine suivante je devais aller voir Clermont-Bayonne (le 4 novembre), bah non je ne vais pas y aller et je vais attendre plusieurs semaines. Même les matchs de l’ASM, je ne suis pas sûr de les regarder car j’ai besoin de faire un break. On a mis pas mal d’énergie et de tension depuis plusieurs mois avec la préparation et le Mondial. J’ai besoin de faire une coupure."
Gagner en club et voir les Bleus rebondir
Après le choc, le déni, la colère et la tristesse viendront peut-être l’acceptation et la reconstruction comme lors d’un deuil. À l’inverse de certains joueurs du XV de France qui ont peut-être laissé la chance d’une vie, ces fans tricolores revivront d’autres compétitions. Pour Éloi Bernoud, le terrain va l’aider à passer à autre chose… à condition de gagner.
"Ça nous mettrait du baume au cœur d’avoir au moins une équipe où l'on s’impose", confirme le troisième ligne du RC Vincennes.
Malgré la désillusion, une forme d’optimisme existe quand même chez ces fans contactés par RMC Sport. L’espoir que les Bleus de Fabien Galthié rebondissent rapidement, l’espoir de les voir remporter des titres, l’espoir que le vivier français reste toujours aussi important et enfin l’espoir de soulever un jour cette Coupe du monde tant convoitée. Sans surprise, le prochain Tournoi des VI Nations est déjà présent dans les têtes.
"Le Grand Chelem ce serait déjà bien, mais je pense qu’il y aura toujours un 'mais'. Oui on gagne mais non car c’était quelques mois avant qu’il fallait gagner", termine Pierre Vignal.
Un goût d’inachevé qui semble aujourd'hui très difficile à oublier. L’amertume de ne pas avoir réussi à garder cette coupe à la maison.