Frères de sang - Damiano et Fabio D'Innocenzo : "Notre film n'a rien à voir avec la fascination que procure la criminalité"

Frères de sang - Sortie le 14 novembre
De Damiano et Fabio D'Innocenzo avec Andrea CarpenzanoMatteo OlivettiMilena Mancini

DE QUOI ÇA PARLE ?

Banlieue de Rome. Manolo et Mirko sont inséparables. Ils vont au lycée et font des petits boulots. Un soir Mirko, au volant, renverse un piéton et Manolo lui fait prendre la fuite. L’occasion de leur vie ! L’homme était recherché par un clan mafieux qui les embauche. Leur carrière criminelle commence.

AlloCiné : Vous êtes de jeunes réalisateurs de 30 ans, pouvez-vous nous parler de votre parcours qui vous a mené à mettre en scène votre premier film, Frères de sang ?

Damiano et Fabio D'Innocenzo : C'est un parcours très naïf au final, nous n'avons pas fait d'école de cinéma mais pas mal de petits boulots : jardiniers, barmen, télé-conseillers, déménageurs, pêcheurs. Dans le même temps nous cultivions notre passion pour le design, la photo et pour la poésie. En grandissant, on a compris que ces 3 arts pouvaient se combiner parfaitement au cinéma. Nous avons aussi beaucoup travaillé comme ghost-writers depuis nos 20 ans.

Vous avez collaboré avec Matteo Garrone sur le scénario de Dogman ; pouves-vous nous dire comment deux jeunes talents comme vous se retrouvent à écrire un film avec un immense cinéaste comme Garrone ? Qu'avez-vous appris à ses côtés ?

Nous avons rencontré Garrone dans une pizzeria, par hasard. Nous sommes allés le saluer et nous avons finalement passé la soirée à parler cinéma. Le lendemain nous étions chez lui ; c'est là qu'est née la collaboration pour Dogman.

Garrone nous a appris beaucoup de choses ; c'est un scénariste incroyable, toujours dans le concret, jamais dans l'abstrait ou la confusion. De plus, il est producteur de ses films, de cette manière, il écrit des séquences qu'il est toujours certain de pouvoir tourner, jamais rien de trop coûteux ou trop compliqué.

Pour nous, ce qu'il y a dans le champ de la caméra est aussi important que ce qu'il y a en dehors.

Le titre original de Frères de sang est « La terra dell'abbastanza » (La terre suffisante), pourquoi avoir choisi ce titre ?

La terra dell'abbastanza est un titre très évocateur mais il n'est pas vraiment adapté pour les autres langues que l'italien. C'est pour nous un lieu dans lequel nous devons vivre avec ce qu'il y a. Et souvent personne ne se contente de ce qu'il a, on en veut toujours plus… et c'est de là qu'arrivent les tragédies.

Frères de sang ne montre pas la violence de manière directe, elle est hors-champ. Pourquoi ce choix ?

Nous aimons beaucoup le fait de ne pas trop en montrer. Pour nous, ce qu'il y a dans le champ de la caméra est aussi important que ce qu'il y a en dehors. Le spectateur doit combler les manques… nous trouvons ça très stimulant. Beaucoup de cinéastes nous ont enseigné cet art de l'équilibre entre le visible et le perceptible : Chantal Ackerman, Bela Tarr, Carlos Reygadas, Toshio Matsumoto...

Quel est votre méthode sur le plateau quand on est 2 réalisateurs ?

On se partage les tâches. Nous pouvons accorder le double du temps, ce qui fait que rien n'est fait de manière approximative sur le plateau. Souvent, le réalisateur doit faire des concessions car il n'a pas le temps de tout faire, de répondre à toutes les questions et faire exactement ce qu'il veut. Etre deux permet une plus grande concentration. Et nous nous confrontons en direct, sans intermédiaires ; cela fonctionne autant par des discussions que des regards entre nous.


Andrea Carpenzano et Matteo Olivetti
Comment avez-vous fait pour obtenir une performance si réaliste de la part de vos acteurs, Andrea Carpenzano et Matteo Olivetti ? Avez-vous été aidés par votre expérience en tant qu'habitants de Rome ?

Nous avons engagé des acteurs qui ne venaient pas de la rue pour éviter de tomber dans le piège du naturalisme. Les deux acteurs principaux viennent de familles bourgeoises et ils ont dû travailler dur en s'engageant sur un territoire inconnu. Nous avons fait ce choix car, selon nous, l'improvisation rend tout le monde paresseux, comédiens comme réalisateurs. Nous connaissons bien le milieu des banlieux romaines, nous savons ce qui est crédible et ce qui ne l'est pas. Le cinéma doit être réaliste, pas réel.

Les personnes qui recherchent le divertissement dans la criminalité trouveront ce qu'ils veulent dans Gomorra ou Suburra.

Que pensez-vous de la vitalité actuelle du cinéma italien ?

Le cinéma italien est plus vivant que jamais. Il y a une nouvelle vague, très sanguine et moins présomptueuse. Garrone mis à part, on a Roberto Minervini, Jonas Carpignano, Alice Rohrwacher, Pietro Marcello. Nous aimons beaucoup ces metteurs en scène. Il y en a aussi d'autres qui feront bientôt leurs débuts comme Pietro Castellito.

Selon vous, pourquoi le public est-il si attiré par les histoires autour de la mafia italienne ? Comment expliquer les succès récents de séries comme Gomorra ou Suburra par exemple ?

Les personnes qui recherchent le divertissement dans la criminalité trouveront ce qu'ils veulent dans Gomorra ou Suburra. Et il n'y a aucun mal à ça. C'est une question de savoir ce qu'on veut raconter. En ce qui nous concerne, nous voulions partager une histoire qui n'avait rien à voir avec la fascination que procure la criminalité. Nous voulions raconter la douleur que génère ce monde-là et la façon dont on tente de survivre à cette douleur.

Avez-vous un nouveau projet en cours ? Etes-vous attirés par une carrière aux USA ?

Nous sommes en train de préparer une série TV et notre second long-métrage. Ce sont deux projets très ambitieux et différents de Frères de sang. Les USA ont été très généreux envers notre film, qui a été très bien accueilli là-bas. Nous préférons toutefois les impliquer dans des projets enracinés en Italie plutôt que le contraire. Nous sommes très attachés à notre terre.