Fiona Scott Morton en veut beaucoup à la France après l’échec de sa nomination à la Commission européenne

Fiona Scott Morton en veut beaucoup à la France après l’échec de sa nomination à la commission européenne (Photo d’illustration de la Commission européenne)
Fiona Scott Morton en veut beaucoup à la France après l’échec de sa nomination à la commission européenne (Photo d’illustration de la Commission européenne)

EUROPE - La rancœur est là. Un mois et demi après son éviction de la Commission européenne, liée à la polémique centrée sur sa nationalité américaine et les doutes exprimés par Emmanuel Macron, l’économiste Fiona Scott Morton ne digère toujours pas la situation.

Le 19 juillet dernier, elle avait annoncé qu’elle renonçait à briguer un poste clé de l’UE pour la régulation des géants de la tech. La nomination d’une ancienne de l’Administration Obama, ex-consultante pour Amazon, Apple et Microsoft, avait en effet provoqué une vive polémique à Bruxelles. Le président français Emmanuel Macron s’était lui-même dit « dubitatif » sur ce recrutement.

« Étant donné la controverse politique provoquée par la sélection d’une non Européenne pour occuper ce poste et l’importance pour la direction générale (de la Concurrence) d’avoir le plein soutien de l’Union européenne (...), j’ai estimé que la meilleure chose était pour moi de me retirer », avait écrit Fiona Scott Morton, dans sa lettre adressée à la commissaire en charge de la Concurrence, Margrethe Vestager. Mais quelques semaines plus tard, la colère est toujours là, surtout vis-à-vis de la France.

Un « manque de confiance » des Français, trop suspicieux

Dans un entretien au Telegraph publié lundi 28 août, l’économiste ne mâche pas ses mots. « Je ne m’attendais pas à être embauchée et licenciée en un rien de temps. Ce n’est pas ainsi que mon monde fonctionne », regrette-t-elle tout d’abord, soulignant qu’elle avait dû chambouler toute sa vie et celle de sa famille pour venir vivre à Bruxelles. Mais les critiques de la France et surtout Emmanuel Macron ont tout fait tomber à l’eau.

« L’économiste en chef de la direction générale de la concurrence doit être légitime, et avoir le soutien de la communauté qui forme l’Union européenne », explique-t-elle. « Si la France et le président français sont si inquiets qu’un Américain prenne ce poste, alors je pense qu’il aurait été difficile de bien faire ce travail, car il aurait été marqué par des querelles politiques et bureaucratiques », poursuit l’économiste qui assure ne pas avoir voulu se « retrouver dans une situation où une partie substantielle du pouvoir européen voulait » qu’elle parte.

Fiona Scott Morton fustige le manque de confiance des Français, qui selon elle est la raison de son éviction. « Il est dérangeant, et triste, que la société française soit si peu sûre d’elle qu’elle rejette l’idée qu’il puisse y avoir un Américain mû par des principes qui veuille travailler pour l’Europe », assène-t-elle. Elle dénonce également les suspicions et « arrière-pensées » que certains lui ont attribuées, alors que certains voyaient en sa candidature un « cheval de Troie » pour les intérêts de Washington et des géants de la Tech dans l’Union.

Enfin, l’experte vise directement Emmanuel Macron et s’en prend à sa vision selon laquelle « le pays figurant sur [son] passeport » l’empêcherait de faire correctement son travail. « C’est totalement faux, dans mon cas. [Macron] sait probablement que c’est, en général, une mauvaise manière de sélectionner ses talents, dans une organisation. » Et de conclure : « la France et l’Europe devraient être suffisamment confiantes pour savoir qu’elles proposent un travail attractif pour un Américain ».

Peur des ingérences

En effet, lors de sa nomination, des responsables politiques ont épinglé ses anciennes fonctions de responsable de l’analyse économique à la division antitrust du ministère américain de la Justice, entre 2011 et 2012, ou de consultante pour des grands groupes de la tech. Ils ont dénoncé de possibles conflits d’intérêts et le risque d’une ingérence de Washington dans des décisions de l’UE.

La Commission européenne avait adressé une fin de non-recevoir au gouvernement français, qui avait officiellement réclamé l’annulation du recrutement de cette professeure d’économie à la prestigieuse université de Yale.

Mais l’affaire menaçait de diviser profondément le collège des 27 commissaires à la tête de l’exécutif européen. Cinq d’entre eux, l’Espagnol Josep Borrell, le Français Thierry Breton, la Portugaise Elisa Ferreira, l’Italien Paolo Gentiloni et le Luxembourgeois Nicolas Schmit ont écrit à la présidente Ursula von der Leyen pour réclamer une réévaluation de cette nomination, a expliqué mardi soir à l’AFP un haut responsable européen.

Pas de « réciprocité » chez les Américains et les Chinois, pointait du doigt Macron

La puissante Direction générale de la concurrence est chargée de veiller au bon fonctionnement de la concurrence dans l’Union européenne (UE) et d’enquêter notamment sur les abus de position dominante des géants du numérique, qui ont donné lieu à des amendes record ces dernières années. La nomination de Fiona Scott Morton survenait au moment où l’UE doit mettre en œuvre de nouvelles législations ambitieuses pour réguler ce secteur.

« Je salue la décision responsable de Fiona Scott-Morton (...). La souveraineté numérique de l’Europe est une exigence absolue », avait déclaré à l’AFP le ministre français délégué au numérique Jean-Noel Barrot, quelques minutes après l’annonce de son retrait.

« Si nous n’avons aucun chercheur (européen) de ce niveau pour être recruté par la Commission, ça veut dire que nous avons un très grand problème avec tous les systèmes académiques européens », avait déploré Emmanuel Macron. Il avait également souligné l’absence de « réciprocité » de la part des États-Unis et de la Chine pour nommer des Européens qui seraient « au cœur de (leurs) décisions ».

« Consultante », « jamais lobbyiste »

Plaidant pour « une autonomie stratégique » de l’Europe, il estimait que la nomination de Fiona Scott Morton n’était « pas forcément la décision la plus cohérente à cet égard ». Auditionnée au Parlement européen Margrethe Vestager avait tenté, sans convaincre, de défendre son choix qui avait aussi reçu l’appui d’Ursula von der Leyen.

« L’idée qu’elle a travaillé pour tous les Gafam et qu’à cause de cela, elle ne peut travailler sur le secteur des technologies n’est tout simplement pas vraie », avait affirmé Margrethe Vestager devant les eurodéputés, évoquant des collaborations comme « consultante » mais « jamais comme lobbyiste ».

L’ouverture du poste aux candidatures non européennes apparaissait sur l’avis de vacance publié dès le mois de mars, avait-elle encore expliqué, justifiant ce choix par la rareté des compétences disponibles.

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