La Finlande se range de plus en plus à la cause de l'énergie nucléaire

Le récit de notre reporter en Finlande, pays européen qui en pleine crise énergétique, plébiscite le nucléaire pour sécuriser son approvisionnement. Les Finlandais sont de plus en plus nombreux, jusqu'à 70%, à y être favorables. Une proportion bien plus importante qu'il y a 30 ans.

La Finlande fait le choix de l'énergie nucléaire. Entre 60 et 70% des Finlandais disent y être favorables. C'est supérieur à la moyenne européenne, mais aussi beaucoup plus qu'il y a 30 ans lorsque cette source énergétique inspirait généralement de la méfiance.

Aujourd'hui, le pays se prépare à la pleine mise en service du troisième réacteur de la centrale d'Olkiluoto, appelé à devenir le plus grand en Europe et l'un des plus grands au monde, un projet lancé il y a une douzaine d'années et maintes fois retardé. Récemment, d'ailleurs, le réacteur a été de nouveau arrêté pour réaliser de nouveaux tests sur ses turbines.

Un changement de mentalités récent

Nous ne sommes pas autorisés à filmer les installations de la centrale, mais nous pouvons nous rendre à son centre d'interprétation. Deux femmes d'un certain âge qui résident à proximité du site visitent les lieux. Elles sont acquises à la cause du nucléaire. "Je me sens en sécurité," dit l'une d'elles. Quand on lui fait remarquer qu'un accident peut arriver à tout moment, elle répond en souriant : "Oui, mais je me dis qu'une météorite peut aussi me tomber sur la tête."

La guerre en Ukraine et la crise énergétique semblent avoir contribué à faire évoluer les mentalités. "Mon point de vue sur le nombre de centrales nucléaires en Europe a changé au cours de cette année," dit sa voisine. "Comme on ne peut plus dépendre de l'approvisionnement énergétique venant de Russie, elles nous offrent une autonomie," estime-t-elle.

Le casse-tête du stockage des déchets nucléaires

Les déchets nucléaires du nouveau réacteur seront stockés dans le sous-sol, à proximité de la centrale. Les installations sont encore en construction. On nous indique l'emplacement d'un futur monte-charge qui récupérera les conteneurs de déchets, puis les fera descendre jusqu'à une profondeur de 450 m. On nous emmène ensuite dans un tunnel de 5 km de long au bout duquel se trouvera l'installation de stockage qui devrait être opérationnelle d'ici à 2025.

Nous alertons notre guide Reetta Ylöstalo, spécialiste projet chez Posiva Solutions, sur le fait que l'on ne connaît pas les conséquences à long terme du stockage de ce type de déchets. "Bien sûr, on ne les connaît pas, personne ne peut vivre un million d'années," admet-elle avant d'ajouter : "On a fait de nombreuses études dans cette zone, on a analysé les propriétés de la roche et des eaux souterraines. On dispose d'estimations, par exemple, des cycles climatiques, on a recueilli toutes ces données et fait de nombreuses modélisations," précise-t-elle. "Il existe toujours une incertitude quand on fait des modélisations," reconnaît la spécialiste projet. "Mais on a utilisé toutes les connaissances et toutes les données à notre disposition," assure-t-elle.

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C'est au bout de ce tunnel, à 450 mètres sous la surface, que se trouvera l'installation de stockage des déchets nucléaires de la centrale d'Olkiluoto - Euronews

L'impact des eaux chaudes sur les poissons

Journaliste local, Jami Jokinen, du journal "Länsi-Suomi", couvre depuis plus de dix ans, l'actualité de la centrale nucléaire. Malgré les efforts de transparence des opérateurs, il nous dit qu'il reste des interrogations sur sa sécurité et son impact environnemental.

"L'impact environnemental le plus important de ces centrales, si tout fonctionne correctement, c'est la chaleur qu'elles libèrent dans la mer," m'explique-t-il. "Leur rendement n'est que de 40% ; ce qui signifie que 60% de l'énergie produite est rejetée dans la mer," dit-il.

Les pêcheurs locaux sont les mieux placés pour constater cet impact. Jarno pêche à une vingtaine de km de la centrale à vol d'oiseau en mer Baltique. Une situation géographique qui le satisfait. Entre autres espèces, il pêche le saumon, le corégone et le brochet pour lesquels la présence de la centrale est plutôt positive. "Les poissons aiment les eaux chaudes, ils s'y développent plus vite, donc ce courant chaud leur fournit de la nourriture," se félicite-t-il avant de tempérer : "Mais il y a aussi une prolifération d'algues qui se coincent dans mes filets et gênent mes activités de pêche et l'autre problème, c'est quand la centrale nucléaire prélève de l'eau de la mer, les petits poissons sont aspirés dans le système et ils meurent."

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Jarno pêche depuis dix ans, dans les environs de la centrale d'Olkiluoto - Euronews

Confiance dans les pouvoirs publics

Autre raison de l'acceptation croissante de l'énergie nucléaire dans l'opinion : la confiance dans les pouvoirs publics finlandais, selon le journaliste Jami Jokinen.

"De nombreux aspects techniques de l'énergie nucléaire, les mesures de sécurité ou la probabilité de certains accidents et leurs conséquences sont très compliqués à comprendre, mais si vous faites confiance à l'autorité qui contrôle le secteur du nucléaire, vous vous sentez en sécurité et à l'aise : c'est quelque chose de très important en Finlande," fait-il remarquer. Il nous dit faire lui-même "confiance aux autorités et à leur expertise."

Difficile de trouver dans la région, des opposants à une centrale nucléaire qui offre des emplois et qui produit une énergie considérée comme "propre", voire comme une alliée contre le changement climatique. Dans un restaurant de Rauma, nous trouvons une jeune femme un peu plus sceptique. "Je pense qu'au bout du compte, il est préférable d'utiliser des sources renouvelables, même si l'énergie nucléaire a des aspects positifs," affirme-t-elle. "Je continue de penser qu'à long terme, elle fera davantage de mal que de bien," renchérit-elle.

Des mini-réacteurs nucléaires pour le chauffage ?

Voit-on les choses différemment loin de la centrale nucléaire ? À 160 km de là, à Tampere, la capitale régionale, nous nous rendons compte que non. La municipalité envisage même l'installation éventuelle de mini-réacteurs nucléaires pour fournir du chauffage.

Tout comme son instance nationale, le parti écologiste local est prêt à discuter de cette option. "On a l'esprit ouvert," assure Jaako Stenhäll, conseiller municipal des Verts. "S'il y a une possibilité que l'énergie nucléaire permette l'installation de petits réacteurs pour le chauffage, c'est une éventualité que l'on doit examiner," souligne-t-il.

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La ville de Tampere étudie l'éventuelle installation de mini-réacteurs nucléaires pour fournir du chauffage - Euronews

"Un gros business"

L'un des sites envisagés pour l'un de ces mini-réacteurs nucléaires se trouve à proximité d'une forêt. Nous y retrouvons Jari Natunen, biochimiste environnemental et représentant d'une ONG finlandaise de défense de l'environnement, l'une des rares personnes sur place à critiquer ouvertement l'impact environnemental de l'énergie nucléaire.

La géopolitique et l'économie biaisent le débat en Finlande, assure-t-il. "Les Finlandais sont très ouverts aux nouvelles solutions si on prouve qu'elles sont sûres," dit-il.

"Il y a des gens qui nous vendent l'énergie nucléaire comme une solution au changement climatique, mais c'est un gros business," dénonce Jari Natunen. "Cette théorie selon laquelle le nucléaire nous donnerait des ressources énergétiques illimitées... Ce type de modèle économique est dépassé," assure-t-il. "Ce qu'il faut pour la planète," conclut-il, "c'est réduire notre consommation de biens et d'énergie."