Fin de "Plus belle la vie": l'épopée d'une série devenue culte
Le 30 août 2004, la France découvre un programme quotidien qui va révolutionner le paysage télévisuel du pays: Plus belle la vie. Diffusé à 20h20, juste après le journal télévisé, ce feuilleton imaginé par Hubert Besson, met en scène le quotidien des habitants d'un quartier fictif de Marseille, le Mistral.
Dix-huit ans d’antenne plus tard, Plus belle la vie tire sa révérence. Alors que France 3 diffuse ce vendredi le dernier épisode de ce soap opera culte, retour sur l’histoire de cette série devenue un véritable phénomène de société.
Des débuts capricieux
Choisi par le groupe France Télévisions - qui a investi plus de 23 millions d'euros dans le projet - afin de concurrencer les programmes des chaînes adverses (jeux télévisés, télé-réalités…), Plus belle la vie, peine pourtant au départ à trouver son public. Le verdict est sans appel: les audiences des premiers épisodes ne sont pas bonnes.
En cause notamment, les intrigues assez répétitives, qui parviennent difficilement à convaincre les téléspectateurs.
"C'était une chronique de la vie quotidienne d'un quartier donc les intrigues étaient très terre à terre", analyse Muriel Mille, enseignante-chercheuse qui a assisté aux ateliers d'écriture de la série entre 2007 et 2010 pour sa thèse Écrire pour tout le monde, les scénaristes de Plus belle la vie face à leur public.
"Par exemple, c'était est-ce que Roland va avoir son prêt? Est-ce que Rachel va être placée en maison de retraite? Comment va faire François, qui est en surendettement et qui a perdu son emploi?”, détaille la sociologue et autrice de la BD Plus belle la série, parue en 2017.
Pendant plusieurs mois, les équipes de productions cherchent alors les thématiques, les personnages ou les lieux qui pourraient venir insuffler un vent de fraîcheur au programme et booster ses audiences. C'est dans ce contexte que sont introduits dans la série le commissariat du Mistral et l'hôpital Marseille-Est.
"Après ça, les scénaristes ont rajouté une bonne dose de policier et d'intrigues un peu plus spectaculaires. C'est ce qui a permis d'élever les audiences”, explique Renaud Lhardy, ancien directeur du digital pour Telfrance la société de production de 'Plus belle la vie'.
Premiers records d'audience
Arrivé sur la série un an après le lancement du programme, Renaud Lhardy a pu constater l’efficacité de ce revirement narratif. "Chaque vendredi soir, on ouvrait le champagne parce qu'on battait un nouveau record d'audience", se souvient-t-il. Galvanisés par ce succès, les scénaristes introduisent alors tueurs en série, trafiquants de drogues et autres fous sanguinaires, qui viennent pimenter le quotidien, jusqu’alors trop tranquille des habitants du Mistral.
"La principale source d’inspiration des scénaristes, c'était la presse”, précise Muriel Mille.
"Ils lisaient les journaux tous les jours pour repérer les sujets d'actualité. Et c'était souvent à partir de leur suivi de l'actualité qu'ils sélectionnaient les intrigues", rappelle la maîtresse de conférences en sociologie.
Épisode après épisode, Plus belle la vie se construit un auditoire de plus en plus solide. Le 17 novembre 2008, le programme franchit notamment le cap des six millions de téléspectateurs - un record pour l’époque - et diffuse, la même année, son millième épisode, devenant la première série française à atteindre ce chiffre.
"Vous faites partie de la famille"
Ce succès fulgurant permet aux scénaristes de développer en profondeur les personnages, qui deviennent plus sombres et complexes mais aussi de construire de nouvelles intrigues autour de thématiques sociétales fortes telles que l'homosexualité, l'alcoolisme, le handicap, le racisme…
"'Plus belle la vie' serait une bonne source pour un ouvrage sociologique", assure Renaud Lhardy.
"C'est le témoignage de l'évolution de la société pendant près de 20 ans. Tous les sujets qui sont abordés sont des thèmes sociétaux très forts. Et souvent 'Plus belle la vie' a été précurseur dans l'évocation de ces thèmes-là", ajoute-t-il.
En abordant des sujets comme le mariage homosexuel entre Thomas (Laurent Kérusoré) et Gabriel (Joakim Latzko), tourné juste avant la promulgation de la loi en France, le 17 mai 2013, Plus belle la vie créé un phénomène d'identification auprès de ses spectateurs.
"On a notamment reçu énormément de témoignages de jeunes gays qui nous disaient que la série les avaient aidés à parler de leur homosexualité avec leur famille et à faire leur coming-out”, détaille Renaud Lhardy, à l'époque chargé des réseaux sociaux de Plus belle la vie.
Associés au succès de la série, les comédiens du programme qui au départ n'étaient que des illustres inconnus s'installent dans le quotidien des Français. On les arrête dans la rue, on leur demande des photos, on confond même parfois leurs noms avec ceux de leurs personnages.
"Le soir même de la diffusion de mon premier épisode, on m'a reconnu dans la rue et on m'a appelé Barbara", se souvient Léa François qui incarne Barbara Évenot depuis la cinquième saison de la série en 2009.
"C'est un peu déroutant au départ parce que toi tu ne les connais pas mais les téléspectateurs, eux, ils mangent avec toi tous les soirs. On nous dit d'ailleurs souvent: ‘Vous faites partie de la famille", poursuit la comédienne.
Départ de visages historiques et baisse d'audience
Mais en 2019, une nouvelle vient mettre à mal Plus belle la vie. L'actrice Sara Mortensen, qui a incarné le rôle de Coralie Blain pendant 7 ans, reçoit un coup de fil de la production. La comédienne, qui avait été libérée par les équipes de Plus belle la vie pour tourner dans une autre série de France 2, Astrid et Raphaëlle, est simplement remerciée. Elle ne reviendra pas à Marseille.
"La production ne parvenait plus à gérer mon emploi du temps", expliquait-elle alors sur Instagram.
Cette éviction fait l'effet d'une bombe à retardement au sein du casting de la série. Les visages emblématiques qui sont encore présents, se questionnent sur leur désir de poursuivre leur aventure dans le programme. Et puis les intrigues ont tendance à ronronner avec le temps, et à manquer de profondeur.
En parallèle, comme le révèle le Parisien, la société de production Newen, dont la filiale Telfrance produit Plus belle la vie, est rachetée par TF1. Un coup dur pour France Télévisions, qui doit également gérer une nouvelle épreuve en 2017: l'arrivée de la série concurrente, Demain nous appartient, diffusée sur la Une chaque soir à 19h20.
Mais ce n'est pas tout. On apprend également que France 2 se prépare à accueillir une nouvelle fiction créée en interne, Un si grand soleil. Dans les tuyaux depuis deux ans, ce programme quotidien, tourné à Montpellier, est diffusé dès la rentrée 2018 à 20h40 sur la chaîne publique. Un horaire ultra stratégique. Plus belle la vie est quant à elle déplacée à 20h20, pile à l'heure des journaux télévisés.
Mais c’est en 2020, que le coup de grâce est porté. Alors que la France est bloquée en confinement, la production de Plus belle la vie fait le choix, contrairement à TF1 et France 2, de faire perdurer la diffusion de son feuilleton. Résultat, lors du retour à la normale, France 3 a épuisé ses stocks d’épisodes inédits. Pendant qu'Un si grand soleil et Demain nous appartient reprennent la diffusion de leurs nouveaux contenus, la chaîne, elle, est donc contrainte de rediffuser une ancienne intrigue de 2015. Une sensation de réchauffé qui se ressent dans les audiences. Le soap-opéra marseillais, qui réunissait à ses débuts entre 5,6 et 6,4 millions de téléspectateurs, n'en intéresse plus que 2,3 millions. Sa plus mauvaise audience depuis son lancement en 2004.
"C'est une fin de série"
En février 2022, un article du Figaro annonce ce que les fans de Plus belle la vie redoutaient le plus: le programme pourrait prendre fin. Et pour cause, le contrat qui lie le groupe France Télévisions et la société de production Newen s'achève le 31 décembre 2022.
Si dans un premier temps, France Télévisions cherche à rassurer les fans sur l'avenir de son feuilleton culte, en interne la dégringolade des audiences fait craindre le pire. En mai, le verdict tombe: l'arrêt de Plus belle la vie est officiellement confirmé par le groupe public.
Une nouvelle difficile à digérer aussi bien pour les équipes du programme que pour ses aficionados, qui tentent à travers des pétitions en ligne ou des messages directement adressés à la production de sauver leur feuilleton préféré. En vain.
Car ce vendredi 18 novembre, Plus belle la vie tire bel est bien sa révérence après 18 saisons et plus de 4.500 épisodes. DIx-huit ans d'histoire qui s'achèveront avec une ultime intrigue de 90 minutes et une dernière scène tournée le 29 septembre dernier avec les comédiens Laurent Kérusoré, Elodie Varlet et Joakim Latzko, relatée dans le documentaire La grande aventure Plus belle la vie.
"Pour la première fois en 18 années de tournage, le premier assistant-réalisateur ne nous a pas dit 'C'est une fin de journée' mais 'C'est une fin de série'", confie avec émotion l'interprète de Thomas, dans le programme qui sera diffusé juste après le dernier épisode de Plus belle la vie.