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Filmer tous les procès: les questions qui se posent derrière la proposition de Dupond-Moretti

Le tribunal judiciaire de Paris, le 17 avril 2018 (PHOTO D'ILLUSTRATION). - ALAIN JOCARD / AFP
Le tribunal judiciaire de Paris, le 17 avril 2018 (PHOTO D'ILLUSTRATION). - ALAIN JOCARD / AFP

"Je suis pour que la justice soit désormais totalement filmée et diffusée." Dans un entretien accordé à des lecteurs du Parisien, Eric Dupond-Moretti a annoncé réfléchir "avec ses services" à faire évoluer la loi afin de permettre de filmer tous les procès. Pour l'heure, seules les audiences présentant "un intérêt pour la constitution d'archives historiques de la justice" sont filmées. Une proposition qui suscite l'inquiétude au sein des professionnels de la justice.

Une justice plus "lisible et audible"

Sur le papier, l'idée est séduisante. Comme c'est le cas actuellement pour le procès des attentats de janvier 2015, mais également 11 autres procès par le passé, le ministre de la Justice affirme que "la justice doit se montrer aux Français."

En dehors de ces cas exceptionnels, le code de procédure pénale interdit de filmer, de prendre des photos ou d’enregistrer pendant un procès, pour "préserver la sérénité des débats". En dehors des procès qui se tiennent à huis clos, les procès sont en revanche toujours accessibles au public.

"Nous sommes plutôt favorables au principe parce qu'on estime que la publicité des débats est un principe essentiel dans un État de droit. Ca permet que la justice soit comprise par les citoyens, qu'elle soit plus lisible et audible", affirme à BFMTV Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM).

D'autres pays ont une législation beaucoup plus souple, comme les États-Unis qui autorisent à filmer tous les procès depuis les années 1980. On se souvient par exemple du très médiatique procès du joueur de football OJ Simpson, accusé du meurtre de son ex-femme Nicole Brown Simpson et Ron Goldman, et dont les images sont aujourd'hui disponibles en streaming sur Youtube.

"Un voyeurisme de mauvais aloi"

De ce côté de l'Atlantique justement, les inquiétudes sont nombreuses face au risque d'une justice spectacle. "Ce serait être un voyeurisme de mauvais aloi", tranche pour sa part Jean-Marie Burguburu, avocat, ancien Bâtonnier de l'Ordre.

Ce dernier se positionne contre "le filmage systématique", estimant "qu'il y a un risque de dérapage, de transformer les procès en séries télévisées. Les risques sont tels qu'il vaut mieux éviter de rentrer la main dans l'engrenage." Jean-Marie Burguburu penche plutôt pour des "reportages plus fréquents, sur le vif, sur des procès en réel, peut-être en direct. (...) La justice n'a pas à se cacher."

Il refuse que seuls les procès "très sanglants" soient filmés, au détriment de la justice ordinaire. Une position partagée par la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, évoquant en particulier la justice civile. Cette dernière est par sa nature moins théâtrale, moins orale et par conséquent davantage procédurière:

"Est-ce que véritablement, on va filmer la justice prud'hommale, les cabinets des juges aux affaires familiales, des juges des enfants, le juge de l'application des peines?, s'interroge-t-elle. Si on doit filmer la justice, on doit filmer toute la justice, y compris la justice ennuyeuse."

"Comment faire la sélection? Y aurait-il les bons procès, les mauvais procès? Si on filme tous les procès on ne s'en sortira pas", poursuit l'ancien Bâtonnier. "On a peur d'être dans une justice hanounesque, une justice spectacle", insiste encore Sarah Massoud.

"L'image peut être menteuse"

Aujourd'hui les contours d'une telle avancée sont bien vagues. La justice civile serait-elle concernée? Les procès à huis clos? Et surtout, comment filmer les audiences? Comment garantir "l'équité entre toutes les parties, le montage ou pas le montage, comment est-ce qu'on va mettre en oeuvre ce dispositif?", se demande Sarah Massoud.

"Il y a des contraintes extraordinaires pour éviter que le montage ne dise le contraire de ce qui se voit à l'image [citant] les plans de coupe, les contre-champs. L'image peut être menteuse", prévient de son côté Jean-Marie Burguburu, ajoutant:

"C'est le prototype de la fausse bonne idée."

Cette annonce a d'ailleurs suscité la stupéfaction générale car elle ne s'est pas faite en concertation avec les organisations professionnelles.

"On apprend ça aujourd'hui, on était pas du tout au courant, nous syndicats professionnels, que ce projet était dans les tuyaux. (...) Nous avons extrêmement peur sur les modalités. Vous avez un ministre qui est dans la saturation de la communication depuis quelques semaines", tranche pour sa part Sarah Massoud.

Article original publié sur BFMTV.com