Trafic de drogues: comment les femmes deviennent de plus en plus actives

Un panneau annonçant un point d'achat de drogues, à Carpentras, le 10 janvier 2023. - Nicolas TUCAT / AFP
Un panneau annonçant un point d'achat de drogues, à Carpentras, le 10 janvier 2023. - Nicolas TUCAT / AFP

Adolescentes à la dérive ou étudiantes insérées socialement, les femmes prennent une part de plus en plus active au trafic de drogue, après avoir longtemps été reléguées au simple rang de mule et de nourrice.

Mules, nourrices, compagnes de dealer... Tantôt contraintes, tantôt consentantes, souvent dans l'ombre des hommes, les femmes ont toujours été présentes dans le trafic de stupéfiants. "Dans les cités, les dealers repèrent celles qui ont besoin d’argent - principalement des mères célibataires - et, contre des petites sommes d’argent, planquent leurs drogues chez elles", explique à BFMTV.com un policier qui a fait ses armes durant 20 ans à la brigade des stupéfiants.

Mais depuis quelques années, les femmes ont pris activement part aux trafics, se hissant au rang de livreuses, revendeuses et même gérantes de leur propre réseau illicite et lucratif. Début mars, une adolescente de 14 ans a été interpellée sur un point de deal avec 600 grammes de cannabis à Marseille.

Pas de profil type

"C’est un phénomène que l’on constate de plus en plus dans les cités depuis quatre, cinq ans", remarque un enquêteur à la brigade des stups de la cité phocéenne.

"Généralement, il s’agit de mineures en fugue ou de jeunes majeures en situation de précarité", résume-t-il.

Ces femmes qui se lancent dans le trafic de stupéfiants ne peuvent toutefois pas être réduites à un "profil type". Certaines, insérées socialement, pénètrent elles aussi sur ce marché parallèle avec l’idée de gagner rapidement de grosses sommes d’argent, puis de retrouver la voie de la légalité.

Non sans accroc… Me David Curial, avocat au barreau de Paris, se souvient d’un dossier dans lequel il représentait un couple de femmes qui, motivé par l’appât du gain, avait lancé en 2020 son propre réseau, exclusivement féminin.

"Ca fonctionnait comme une sorte de pharmacie mobile, vendant du cannabis, de la cocaïne et de la 3-MMC", la drogue consommée par Pierre Palmade avant de provoquer un accident de la route qui a grièvement blessé trois membres d’une même famille.

"Leur force, c’était le marketing qu'elles faisaient sur les réseaux sociaux. Elles présentaient notamment la 3-MMC comme une substance peu addictive, et proposaient d’importantes démarques dessus", détaille l’avocat dont les clientes ont été condamnées à des peines allant de 3 à 5 ans de prison ferme.

Malgré les risques que cela comporte, nombreuses sont celles qui saisissent les "opportunités" qui s’offrent à elles, confirme Sarah Perrin, docteure en sociologie. Elle a consacré sa thèse à la part grandissante qu’occupent les consommatrices de stupéfiants dans la revente de drogues, sans en être contraintes par des hommes. Institutrices, infirmières, chargées de mission, kinésithérapeutes... Les profils des usagères-revedeuses que Sarah Perrin a étudiés sont multiples et variés.

Victimes des stéréotypes de genre

"Ca commence généralement avec un dealer qui propose à l'usagère d’acheter 'en gros' pour bénéficier de 'réductions'. La femme va en garder une partie pour sa propre consommation et revendre le reste à un prix plus élevé, ce qui lui permet, au final, de rembourser sa part", analyse Sarah Perrin. "Dans ce schéma, le gain financier lié à la revente de stupéfiants est marginal, l’enrichissement n'est pas l’objectif recherché. Elles ne se considèrent d’ailleurs pas comme des dealeuses professionnelles".

Ces femmes revendent leurs produits à un cercle restreint de consommateurs (amis ou connaissances) et dans des lieux plus "sûrs" que la rue: "Chez elles, chez des amis ou dans les lieux de fête qu’elles fréquentent", note la sociologue. Car pour les femmes qui deviennent dealeuses, l’insécurité est un critère primordial à prendre en compte.

"À cause des stéréotypes de genre, les femmes sont sexualisées, décrédibilisées, considérées comme inférieures. Tout cela les rend plus vulnérables aux escroqueries et aux agressions physiques que les hommes dans ce milieu", souligne Sarah Perrin.

Toutefois, certaines se servent de ces stéréotypes comme d’un atout et jouent des caractéristiques qu'on leur attribue. "Les femmes sont perçues comme douces, gentilles, naïves… Certaines accentuent ces traits pour gagner la confiance des clients. Parfois, elles se féminisent en jouant sur l'habillement, le parler, l'attitude. D'autres optent pour la stratégie inverse et se masculinisent afin de gagner en crédibilité", énumère la sociologue.

Au-dessus de tout soupçon

Selon Sarah Perrin, ces stéréotypes de genre leur servent également à passer sous les radars de la police "qui se cantonne encore au profil type du dealer, celui de l'homme, jeune, précaire et racisé".

"C’est encore vrai pour les contrôles effectués sur la voie publique", admet l'enquêteur à la brigade des stupéfiants de Marseille. Rompu aux techniques de deal, il reconnaît que les livreuses "bien apprêtées, un peu chic, à l'apparence insérée socialement" peuvent passer inaperçues dans la rue.

"En revanche, sur le travail d’enquête, le sexe du dealer n’a pas d'impact sur la méthodologie", insiste-t-il. "Notre rôle, c’est d’observer le fonctionnement du réseau et de déterminer qui guette, qui charbonne, qui vend, qui gère. Que ce soit un homme ou une femme, on le remarquera et ça ne nous échappera pas."

Article original publié sur BFMTV.com

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