"Il faut qu’il y ait une prise de conscience": la rapporteure de la Commission d’enquête fait le bilan des auditions
Après 90 auditions, c’est donc terminé pour cette commission d’enquête parlementaire. Que faut-il retenir ?
Il y a beaucoup de choses à retenir. Le but de notre Commission d’enquête était d’identifier les dysfonctionnements au sein du mouvement sportif. Oui, on se rend compte qu’il y en a, c’était évident. Après, il y a des choses qui vont bien dans le mouvement sportif, il ne faut pas non plus dire que tout est à jeter. Ce qui m’a marqué, ce sont ces dirigeants qui n’ont pas du tout prix conscience des enjeux de la société actuelle. Et que du coup, il y aura une difficulté à se réformer d’eux-mêmes. Pour moi, ça justifie encore plus la création de cette commission d’enquête, l’Etat doit vraiment œuvrer et légiférer pour faire avancer les choses. On voit bien aujourd’hui que pour le ministère des Sports, en ce qui concerne sa tutelle et son contrôle, nous sommes vraiment très très loin de ce qu’il faudrait faire pour que ça fonctionne correctement.
>> Laporte, Labrune, Dupond-Moretti... Revivez les dernières auditions de la Commission d'enquête
Vous espérez maintenant que la ministre des Sports suive vos recommandations qui seront émises le 19 décembre ?
Au lancement de cette commission, la ministre était très fermée. Lors de son audition, elle a laissé entendre que peut-être il y aura certains points qu’elle regardera avec attention. Mais je pense aussi qu’à la fin de cette commission, plus personne ne peut dire ‘je ne savais pas’. Là, tout est visible. Quand vous avez 80% des personnes auditionnées qui ne connaissent pas l’existence de Signal Sport (la plateforme de signalement du ministère des Sports, NDLR), ça questionne. C’est un vrai sujet. C’est quand même un sujet capital, on parle de l’outil phare du ministère pour signaler des violences sexuelles et sexistes. Le mouvement sportif est dans un autre temps avec tous ces présidents. Lors de la dernière audition, Marie-George Buffet a assez bien exprimé qu’il faut un renouvellement de la gouvernance du mouvement sportif. Il faut ce renouvellement, autrement ça ne changera pas.
Lors des auditions, vous avez beaucoup insisté sur le contrôle d’honorabilité des éducateurs et des bénévoles, vous espérez une mesure concrète dans les prochains mois ?
Le contrôle d’honorabilité, j’ai pu constater qu’il ne fonctionne pas correctement. Moi je l’ai dit ce matin au garde des Sceaux en prenant l’exemple de mon déplacement dans la Fédération d’athlétisme. Dans leur boîte mails, ils ont une centaine de retours de mails après la demande d’un contrôle d'honorabilité, ça peut être pour un accent, pour une lettre, pour n'importe quoi et ça revient à la Fédération en question. Ça demande un travail considérable aux fédérations, qui pour la plupart d'entre elles sont tenues par des bénévoles, pour que ce contrôle d'honorabilité soit bien fait. C'est un dispositif assez lourd, mais surtout, ce qui questionne, c'est le fait que même lorsqu'il y a un signalement, lors du croisement des fichiers, on se retrouve avec des individus qui reprennent des licences. Dans cette situation, on ne comprend pas pourquoi la fédération donne une nouvelle licence et pourquoi le ministère des Sports n’a pas une alerte plus forte concernant les clubs lorsqu’ils recrutent des personnes signalées. C’est aussi le cas pour la plus grande Fédération de sport en France : la FFF.
Vous allez signaler des parjures après ces auditions ?
Lors des dernières auditions, les personnes ont pris le temps de répondre en disant 'attention on a compris que chez vous il ne fallait pas trop dire de conneries'. Ils ont évolué au fil du temps en regardant les auditions précédentes. Il y a eu des rectificatifs à l’écrit immédiatement après les auditions quand ils ont compris qu'ils avaient dit des choses totalement fausses. Pour le processus de signalement, on va attendre d’avoir les comptes rendus écrits des auditions dans les prochains jours et on va faire un travail de fourmi pour vérifier les propos des personnes auditionnés afin de voir là où il y a eu des mensonges. Et je pense que pour le coup avec la présidente nous allons vraiment réaliser des signalements. Il faut qu’il y ait une prise de conscience, il faut marquer les esprits. On ne vient pas devant la Commission d'enquête en se disant que finalement c'est juste une formalité, ce n'est pas une formalité. On ne vient pas aux commissions d'enquête parce qu'on veut bien venir, c'est une obligation.
À plusieurs reprises, vous avez eu des présidents de fédérations avec des argumentaires surprenants...
Exactement. C’est la réalité, nous avons eu des présidents qui n’avaient absolument pas préparé leurs auditions. Soit ils considèrent qu’ils n’ont pas de compte à rendre, soit ils n’ont jamais rendu de compte. Dans les deux cas de figure, c’est assez problématique. Ils ont des délégations de services publics. La première audition de la Fédération d’Athlétisme, excusez-moi... Ils ont vu les auditions des deux victimes que nous avons entendues, on pouvait supposer une préparation de ces dossiers. Ce n’était pas le cas. Il y a plusieurs exemples. C’est peut-être aussi pour ça que certains dirigeants se sont permis quelques petites légèretés avec la vérité. Je pense qu’il faut envoyer un signal fort en expliquant effectivement que c’est très sérieux. Et que même s’ils ne veulent pas nous dire la vérité, ils doivent la vérité pour les victimes. Venir pour mentir devant une Commission d’enquête qui traite de cas de victimes sur des faits extrêmement graves, c’est quelque part en faire des victimes pour une deuxième fois.