"Il faut critiquer la notion de transition, car elle empêche de réfléchir à ce qui fâche"

"En Chine, on a tout à la fois un envol du solaire et la construction de nouvelles centrales à charbon", remarque Jean-Baptiste Fressoz. Sur cette photo prise le 19 novembre 2015, de la fumée s'échappe d'une centrale à charbon près de Datong, dans la province chinoise du Shanxi (nord).

Les énergies et les matières premières ne se remplacent pas les unes les autres : elles s'accumulent au fil du temps, formant des écheveaux inextricables. C'est pourquoi, selon l'historien Jean-Baptiste Fressoz, parler de transition entre fossiles et renouvelables est un leurre qui empêche de penser une partie de la solution, la sobriété.

Cet article est issu du magazine Les Dossiers de Sciences et Avenir n°219 daté octobre/ décembre 2024.

Jean-Baptiste Fressoz est historien des sciences et de l'environnement, enseignant à l'école des Ponts Paris Tech et à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.

Les Dossiers de Sciences et Avenir : Selon vous, il est erroné de considérer l'histoire de l'énergie comme une succession de périodes distinctes : celle du bois, puis du charbon, du pétrole, de l'électricité…

Jean-Baptiste Fressoz : La manière dont on relate l'histoire de la Révolution industrielle, encore dans de récents ouvrages universitaires, revient effectivement à présenter une succession de phases, de transitions, du bois vers le charbon, puis du charbon vers le pétrole. Cette histoire est tout simplement fausse.

Et on le sait depuis longtemps : dans les années 1930, déjà, des ingénieurs produisaient des graphiques montrant que les courbes énergétiques s'empilaient les unes sur les autres. Que le charbon soit une énergie clé de la modernité avancée est une évidence : il a connu la plus forte croissance de son histoire entre 1980 et 2010 (+ 300 %). En 2023, l'Europe en brûle encore 400 millions de tonnes par an, sans compter la masse bien plus importante liée aux biens qu'elle importe.

"Au 20e siècle, le pétrole ne remplace absolument pas le charbon"

Les Dossiers de Sciences et Avenir : L'idée de transition énergétique serait donc un leurre ?

Jean-Baptiste Fressoz : En tant que notion historique, oui : les énergies s'empilent, et surtout interagissent. Elles sont codépendantes, en symbiose les unes avec les autres. Prenons l'exemple de l'Angleterre, le cas le plus étudié pour la Révolution industrielle : en 1900, les mines de charbon consomment davantage de bois pour étayer les galeries et extraire le minerai que le pays entier n'en brûlait en 1750 !

Les historiens ont trop souvent considéré les énergies comme étant en compétition : le charbon avec le bois, le pétrole avec le charbon, ou encore[...]

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