La face cachée du "Grand Meaulnes"

Commençons par une confession : on n'aurait pas relu Le Grand Meaulnes s'il ne venait d'entrer au musée, c'est‑à-dire dans la sacro-sainte bibliothèque de la Pléiade. On avait en mémoire une bible des émois adolescents, une bible, oui. L'amour s'y confondait avec une quête divine, Augustin Meaulnes était nimbé d'un charme quasi christique ; les sentiments étaient chastes, les femmes n'étaient que de futures mamans, les corps se vaporisaient comme dans les tableaux d'Eugène Carrière ; tout y sentait la craie, les blouses, les dictées, le goûter, les devoirs ; on croyait entendre le roulement des charrois, les cris des vachers et le bruit des sabots sur les routes mal empierrées.

Alors bien sûr, on se rappelait des éclats oniriques, et notamment ceux de la fête costumée par la grâce de laquelle l'intrigue est littéralement précipitée, mais cela ajoutait à la religiosité diffuse ; surtout, ce n'était pas suffisant pour dissiper le voile un peu mièvre recouvrant le roman d'Henri Fournier (qui adopta le nom de plume Alain-Fournier afin de n'être pas confondu avec un célèbre pilote automobile).

Mort au front en 1914

On en avait négligé l'ambivalence, la cruauté, la folie sombre. Sans doute avait-on été abusé par la très dévote façon dont la sœur de l'écrivain, Isabelle – à qui le roman est dédié –, avait entretenu le culte de son frère. La vestale Isabelle avait caché les vices de son frère. Les tenants d'une lecture initiatique avaient donc gagné la bataille de la postérité. Il fa...


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