Face à la menace russe, la Pologne veut des missiles nucléaires américains sur son territoire

Face à la menace russe, la Pologne veut des missiles nucléaires américains sur son territoire

C'est le dernier coup en date dans cette partie de poker qu'on espère menteur autour de la question atomique soulevée par la guerre russo-ukrainienne. Vladimir Poutine s'est engagé dans un chantage nucléaire depuis plusieurs semaines devant les difficultés rencontrées par ses troupes sur le front ukrainien.

En conséquence, afin de se prémunir face aux menaces potentielles du Kremlin, la Pologne a demandé aux Etats-Unis de placer des ogives sur son territoire. La proposition paraît cependant essentiellement symbolique, comme le souligne le Guardian, tant une telle initiative serait peu judicieuse d'un strict point de vue militaire.

"Partage nucléaire"

Avant d'en venir au fond de l'affaire, il faut en relever le sérieux. C'est en effet le président polonais lui-même, Andrzej Duda, qui a révélé le projet. Il a évoqué mercredi auprès de Gazeta Polska une "opportunité réelle" de "partage nucléaire". Il s'agirait pour les Etats-Unis de confier des armes nucléaires à son allié polonais qui aurait alors à charge de les transporter sur ses propres avions, avec ses propres pilotes.

"Nous avons échangé avec des dirigeants américains pour savoir si les Etats-Unis envisageaient une telle possibilité. La problématique est sur la table", a ajouté le chef de l'Etat.

L'embarras est toutefois palpable parmi les dirigeants américains. Contactée par le Guardian, la Maison Blanche a ainsi assuré ne "pas avoir connaissance" d'une telle piste, renvoyant à la Pologne.

Les obstacles au projet

Il faut dire que le thème est pour le moins sensible, et se cogne à deux écueils majeurs. Le premier est diplomatique: le dispositif constituerait une violation du traité de non-prolifération nucléaire de 1997 par lequel les Etats-Unis ont promis de ne pas implanter ces missiles sur les sols des membres les plus récents de l'OTAN.

Ce problème n'est pourtant pas insurmontable. Vladimir Poutine, en imaginant à haute voix d'employer "toutes les armes à sa disposition" pour défendre les intérêts supposés de sa nation, fait lui-même peu de cas de la législation internationale en la matière. De surcroît, il faut comprendre la demande polonaise comme l'effet-miroir d'une réforme constitutionnelle survenue en février chez le voisin biélorusse. La dictature d'Alexandre Loukachenko peut désormais déployer des armes nucléaires russes sur son territoire.

Le second écueil, militaire et technologique, est plus handicapant pour le programme proposé. Après avoir questionné des experts, le journal britannique souligne qu'un tel export américain vers la Pologne serait contre-productif. En effet, dans la mesure où les Etats-Unis disposent déjà d'ogives sur le continent, le bénéfice en termes de dissuasion est douteux. Et rapprocher ces armes des frontières russes ne ferait que les rendre plus vulnérables, plus exposées aux atteintes russes.

L'avertissement de la CIA

En toute probabilité, les Etats-Unis devraient donc s'en tenir à leur centaine d'armes nucléaires dispatchées en Europe. On en trouve ainsi aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et en Turquie. L'intégralité de ce cheptel atomique est constitué de bombes B61, modèle en principe obsolète mais mis à jour et dorénavant adapté aux appareils modernes.

La suggestion symbolique polonaise n'est donc pas de nature à changer la donne concrètement mais elle interroge la réponse à opposer au péril russe. Mardi, William Burns, directeur de la CIA, a ainsi averti sur CBS News: "Un Poutine acculé, qui se sent dos au mur peut être dangereux et imprudent".

L'un de ses prédécesseurs à la tête de l'agence américaine, le général David Petraeus, n'y est pas allé par quatre chemins lundi sur ABC, au moment de livrer sa solution pour dissiper le danger.

Si les Russes devaient utiliser l'arme atomique d'une manière ou d'une autre les Etats-Unis et l'Otan "élimineraient toutes les forces russes identifiables sur le champ de bataille en Ukraine, en Crimée, et même en mer Noire", a-t-il prévenu. Un tel affrontement direct entre les Américains, l'Alliance atlantique et la Russie représenterait toutefois un point de non-retour dans la spirale de la guerre en cours.

Article original publié sur BFMTV.com