Expulsions et OQTF: nos voisins européens sont-ils plus efficaces?

Après la mort de Philippine, retrouvée morte ce samedi dans le bois de Boulogne, la question de l'efficacité des expulsions du territoire français se pose. Beaucoup sont prononcées, mais peu sont appliquées.

La mort de Philippine, cette étudiante de 19 ans dont le corps a été retrouvé dans le bois de Boulogne à Paris ce samedi 21 septembre, a relancé les débats concernant les Obligations de quitter le territoire français (OQTF). Le suspect de ce meurtre, interpellé à la gare de Genève ce mardi, est un homme de 22 ans, d'origine marocaine qui était sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français, depuis le 18 juin dernier.

Mais la procédure d'expulsion connaît un imbroglio administratif. Le 24 juin, le Maroc informe la France que la demande de laissez-passer consulaire n'a pas été émise par le bon service en France. Cette demande doit être effectuée par la Direction Générale des étrangers en France (DGEF), ce qui est finalement fait le 18 juillet. Le Maroc a envoyé un laissez-passer consulaire le 6 septembre, mais trop tard. L'homme de 22 ans avait été libéré trois jours plus tôt, avec une obligation de pointer dans un commissariat, ce qu'il ne fera jamais.

Pour rappel, arrivé en France en 2019, l'homme avait pu pénétrer sur le territoire de manière régulière avec un visa touristique valable du 13 juin 2019 au 27 juillet 2019. Peu de temps après son arrivée sur le territoire français, il avait commis un viol sur une étudiante de 23 ans pour lequel il a été condamné à sept ans de prison.

Au premier trimestre 2024, 103.515 personnes ont reçu l'ordre de quitter un pays de l'Union européenne. Parmi les pays de l'UE, c'est en France que le plus grand nombre d'obligation de quitter le territoire a été enregistré sur cette période avec 34.190 expulsions prononcées, contre 15.400 en Allemagne et 6.965 en Belgique par exemple.

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Pourquoi la France produit beaucoup plus de mesures d'exécutions que d'autres pays? Un rapport de la Cour des comptes publié en janvier dernier pointe "le taux significatif d'annulations juridictionnelles" des mesures d'expulsions. "En 2022, les tribunaux administratifs ont annulé 18% des OQTF qui leur étaient présentées."

Si l'on s'intéresse au nombre d'obligation de quitter le territoire réellement appliquée, la donne est différente. Toujours au premier trimestre 2024, environ 30% des expulsions ont été exécutées dans l'Union européenne. Pour la France, le nombre d'OQTF réellement excutée est d'environ 10%, sur cette période selon la Cour des comptes. Il s'agit du taux le plus bas pour un pays de l'UE.

Depuis 2017, ce taux oscille autour des 10%, selon un rapport d'activité de 2023 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Résultat, il y a aussi un décalage sur la nationalité des personnes expulsables et celles réellement expulsées. Les Algériens (7%), les Marocains (7%) et les Turcs (6%) représentent la plus grande part dans le total des OQTF. Mais ce sont les Géorgiens (9%), les Albanais et les Turcs (6%) qui sont finalement le plus expulsés.

Taha O., suspect dans la mort de Philippine, est passé par un centre de rétention administrative (CRA) en juin dernier, comme toutes les personnes qui doivent être expulsés du territoire. 43.000 clandestins y ont transité en 2022 dont 27.000 en Outre-mer, principalement à Mayotte. La durée de rétention dans ces centres est de 90 jours, alors que la Commission européenne autorise une rétention de 18 mois.

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La raison: il n'y a pas assez de places dans les CRA. En 2023, la France comptait 1.869 places. En octobre 2023, dans un entretien au Parisien, l'ancien ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, annonçait que le gouvernement cherchait à "doubler les places dans les centres de rétention" pour les porter à 3.000 d’ici à 2027. En Allemagne, en Italie ou en Belgique, ce délai de rétention est de plus d'un an alors qu'en Suède ou au Danemark, il est illimité.

Est-ce que le successeur de Gérald Darmanin, Bruno Retailleau, sera dans sa lignée sur la question des CRA? Le nouveau locataire de la Place Beauvau a en tout cas appelé à "faire évoluer notre arsenal juridique."

Article original publié sur BFMTV.com