Explosions au Liban : viser les communications du Hezbollah, un moyen de montrer les muscles (mais pas que)

Des explosions meurtrières des appareils de transmission du Hezbollah ont eu lieu mardi 17 septembre et mercredi 18 septembre. (Photo : l’armée libanaise effectue une explosion contrôlée d’une batterie)
Karamallah Daher / REUTERS Des explosions meurtrières des appareils de transmission du Hezbollah ont eu lieu mardi 17 septembre et mercredi 18 septembre. (Photo : l’armée libanaise effectue une explosion contrôlée d’une batterie)

INTERNATIONAL - Frapper au cœur du système. Dans la banlieue sud de Beyrouth, après des bipeurs mardi, des talkies-walkies du Hezbollah ont explosé, ce mercredi 18 septembre, faisant des dizaines de morts et des centaines de blessés. Le mouvement islamiste chiite a immédiatement accusé Israël d’être à l’origine de ces attaques qui auraient tué vingt de ses membres. Des charges non démenties par le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou.

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« Est-ce que cette attaque déstabilise le Hezbollah ? Très certainement. Est-ce qu’elle va disséminer le Hezbollah ? Certainement pas », analyse Elena Aoun, professeure et chercheuse en relations internationales à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, auprès du HuffPost. Pour autant, cette opération imputée à Israël est le résultat d’un ensemble de calculs politiques, militaires et stratégiques.

« Plus spectaculaire qu’efficace »

D’abord, sur le plan militaire, la spécialiste des crises au Moyen-Orient estime que les explosions des appareils de transmission du Hezbollah ont mis « au moins 3 000 combattants hors circuits » sur environ 20 000 miliciens mobilisables, en raison des graves blessures (amputations, yeux brûlés…) engendrés par l’explosion de leur appareil.

Ces blessés ne sont toutefois pas des combattants du front, indiquent des sources militaires à L’Orient - Le Jour. Malgré l’ampleur des dégâts humains engendrés par cette attaque, les troupes du Hezbollah pourront donc rapidement se relever. « Cette opération est plus spectaculaire qu’efficace », résument ainsi les sources de l’armée auprès de nos confrères.

Outre les atteintes physiques, les capacités de communication du Hezbollah se trouvent affectées, « mais pas paralysées », note Elena Aoun. Et pour cause, les « bipeurs et les talkies-walkies ne sont sans doute pas le seul moyen de communication du groupe paramilitaire ». Hicham Jaber, général libanais à la retraite, cité par la RTBF, évoque notamment « un réseau de téléphonie fixe parallèle au réseau officiel libanais. »

Un mode opératoire historique des services secrets israéliens

Ce sabotage d’appareils numériques, que de nombreux observateurs attribuent au Mossad, l’agence israélienne de renseignement extérieur, rappelle un précédent. Le 5 janvier 1996, le responsable du Hamas, Yehia Ayache, est tué par l’explosion de son téléphone, dans la bande de Gaza. Les services secrets israéliens avaient été accusés d’être à l’origine de cet assassinat, mais Israël ne l’a jamais revendiqué. Elena Aoun cite aussi les « attaques de Stuxnet en 2011 », aux cours desquelles un virus informatique développé par les États-Unis et Israël a perturbé le programme nucléaire iranien.

Si elle semble s’inscrire dans la lignée de ces attaques, l’opération des 17 et 18 septembre est « plus massive encore, car des objets du quotidien ont été transformés en des objets de mort », poursuit la chercheuse de Louvain, qui s’insurge contre cette attaque dans laquelle de nombreux civils, dont des enfants, ont été blessés et tués.

Ces moyens de communication devenus, en effet, des armes de guerre ont été « préprogrammés pour exploser », selon une enquête préliminaire menée par les autorités libanaises. Citant des responsables américains et d’autres nationalités, le New York Times a affirmé que les services secrets israéliens étaient parvenus à intercepter les bipeurs avant leur arrivée au Liban et à cacher de petites quantités d’explosifs et un détonateur à côté de la batterie. Des médias israéliens ont, eux aussi, affirmé que cette attaque portait la marque du Mossad.

Détourner l’attention et faire un « pied de nez » aux États-Unis

Avec cette démonstration de ses « prouesses » technologiques, Israël chercherait non seulement à montrer sa supériorité en matière de numérique, mais aussi à « détourner le regard » de la guerre à Gaza. « Le gouvernement d’extrême droite israélien ne semble pas vouloir avancer sur le dossier du cessez-le-feu et de la libération des otages », explicite Elena Aoun, qui évoque un moyen de faire taire les critiques de l’Occident.

Et la professeure en relations internationales développe avec un exemple particulièrement éloquent : « Dans les médias, l’attention n’est plus portée sur les exactions d’Israël. Par exemple, on a peu parlé de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU [prise mercredi] réclamant la fin de l’occupation israélienne des territoires palestiniens [dans les 12 mois] et appelant à des sanctions » contre l’État hébreu.

La spécialiste du Liban y voit aussi un moyen pour Israël de faire un « pied de nez » à ses alliés américains. Et pour cause, la veille de « l’opération bipeur », un émissaire des États-Unis à Tel Aviv enjoignait le gouvernement israélien de ne pas élargir le front de la guerre Israël-Hamas au Nord, à sa frontière avec le Liban. Ignorant cet appel à l’accalmie, Tsahal a bombardé ce jeudi sept sites du Hezbollah dans le Sud du Liban. Le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, a assuré dans la foulée que le « centre de gravité » de la guerre se « déplace vers le Nord ».

Craignant que cette action coup de poing reste impunie, le Premier ministre libanais a appelé jeudi le Conseil de sécurité de l’ONU à « adopter une position ferme » à l’égard d’Israël. Face à ces explosions qui ont choqué et inquiété la population libanaise, Najib Mikati a mis en garde « l’humanité tout entière » face au risque d’une « guerre technologique » imminente menée par le gouvernement de Netanyahou.

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