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Evacuation d'un camp de migrants: que s'est-il passé place de la République à Paris?

Un campement de migrants délogé par la police place de la Republique à Paris le 23 novembre 2020 - MARTIN BUREAU © 2019 AFP
Un campement de migrants délogé par la police place de la Republique à Paris le 23 novembre 2020 - MARTIN BUREAU © 2019 AFP

La police des polices a désormais 48 heures pour rendre ses conclusions au ministre de l'Intérieur. Au lendemain de l'évacuation musclée, voire violente, d'un campement de migrants installé brièvement sur la place de la République à Paris, la polémique enfle. Gérald Darmanin a saisi l'IGPN pour faire la lumière sur "plusieurs faits inacceptables" sur proposition du préfet de police de Paris à qui il avait réclamé un rapport circonstancié.

· D'où venaient les migrants installés sur la place de la République?

Lundi soir, en à peine quelques minutes, environ 500 tentes bleues ont été installées sur la place de la République à Paris. Elles ont été vite investies par des réfugiés, majoritairement des migrants d'origine afghane. Ces personnes erraient dans la capitale depuis le démantèlement, le 17 novembre, d'un gigantesque camp de migrants installé depuis septembre près du Stade de France, à Saint-Denis, au nord de Paris. Environ 3000 personnes ont été délogées et mises à l'abri dans des centres d'accueil et des gymnases d'Île-de-France, avait précisé la préfecture de la région.

"On a peur qu'ils soient évacués sans solution, comme ce qui s'est passé mardi dernier", a expliqué Maël de Marcellus, responsable parisien de l'association Utopia56, qui a monté l'opération lundi soir place de la République. "Ils ont été laissés sur le carreau et invisibilisés, mais eux aussi ont besoin d'un hébergement, surtout en pleine crise sanitaire", a-t-il ajouté.

· La rapide intervention des forces de l'ordre

Une heure à peine après l'installation des tentes et l'arrivée des migrants, vers 19h45, les forces de l'ordre sont intervenues pour les déloger et mettre fin à cette "occupation illicite de l'espace public", selon la préfecture de police de Paris.

Rapidement, des images de violences circulent sur les réseaux sociaux. Un journaliste de RMC filme un policier faire un croche-pied à un migrant qui tente de s'enfuir. Des policiers sont également vus en train de soulever des tentes alors que des personnes se trouvent à l'intérieur.

Face à la charge des policiers, vers 21h30, des migrants ont pris la direction de l'Hôtel de Ville en empruntant la rue du Temple. Quelques minutes plus tard, à 21h50, un second groupe se forme et prend la même direction cette fois-ci via le boulevard Saint-Martin. Ce cortège va être gazé et dispersé, mais finira par rejoindre la place de la mairie de Paris.

Une nasse se forme devant l'Hôtel de Ville, des élus de la municipalité sont empêchés par les forces de l'ordre de les rejoindre. Une nouvelle dispersion va être réalisée plus tard avec des gaz lacrymogènes et des grenades de désencerclement.

Au cours de la soirée, le journaliste Rémy Buisine dit avoir été molesté à trois reprises par le même policier.

"Pris à la gorge la première fois, violemment projeté la seconde fois... et ça... c’est vraiment dur ce soir..", a écrit le journaliste de Brut sur Twitter.

· Qui sont les policiers qui sont intervenus?

Le dispositif de police pour diriger cette évacuation a été mis en place par la DSPAP, la direction de la sécurité publique de l'agglomération parisienne, avec les effectifs disponibles, rappelle une source policière.

Des effectifs des BAC, les brigades anti-criminalité, et des CSI, les compagnies de sécurisation et d'intervention, ont été majoritairement engagés lundi soir place de la République pour gérer cette action spontanée des associations d'aide aux migrants. Ces unités sont peu rompues aux techniques de maintien de l'ordre.

Seul un escadron de gendarmerie mobile, soit 70 hommes formés eux au maintien de l'ordre, était présent place de la République. Les gendarmes ne sont pas mis en cause par les vidéos. Les CRS et les compagnies d'intervention, elles-aussi compétentes pour ce type d'intervention, ont été déployées plus tard dans la soirée.

· Une enquête judiciaire ouverte

Le ministre de l'Intérieur a rapidement dénoncé des images "choquantes". Il a alors immédiatement demandé au préfet de police de Paris un rapport circonstancié sur les faits. Ce rapport lui a été remis mardi matin, et sur proposition de Didier Lallement, l'IGPN, la police des polices, a été saisie pour enquêter sur des "faits inacceptables" selon les mots du préfet cité par Gérald Darmanin. Les conclusions de cette enquête administrative doivent être rendues dans les 48 heures et seront publiques.

La police des polices va étudier au moins deux faits: la prise à partie dénoncée par le journaliste Rémy Buisine et le croche-pied d'un policier sur un migrant. Pour ce dernier fait, le parquet de Paris a ouvert une enquête, judiciaire cette fois-ci, du chef de "violences par personne dépositaire de l'autorité publique". Les investigations ont été confiées à l'IGPN également.

Par ailleurs, deux personnes sont actuellement en garde à vue pour des violences à l'encontre de personne dépositaire de l'autorité publique et outrage.

La défenseure des Droits Claire Hédon s'est également saisi des faits. Plusieurs associations, parmi lesquelles Médecins du monde et le Secours catholique, ont fait part en outre de leur intention de saisir cette instance.

· Quelle est la réaction des autorités?

Anne Hidalgo, qui dénonce également des faits "choquants" et un "usage disproportionné" de la force, a écrit au ministre de l'Intérieur pour obtenir des "explications".

"On ne démantèle que s'il y a une solution d'hébergement", a par ailleurs rappelé la maire de Paris, déplorant qu'il "n'y ait pas eu de réponse à la hauteur de la part de l'Etat dont c'est la compétence et la responsabilité".

Ce mardi matin, les ministres Marlène Schiappa et Emmanuelle Wargon ont elles demandé une prise en charge "sans délai" pour les centaines de migrants de nouveau dans l'errance, appelant à la mobilisation des administrations de l’Etat. D’ores et déjà 240 places sont identifiées par le préfet de la région Ile de France, en centre d’accueil et d’examen des situations administratives et dans les structures de l’hébergement d’urgence.

Cette vive polémique intervient alors que l'Assemblée nationale doit voter ce mardi solennellement la loi "sécurité globale" et son article 24 controversé qui vise à pénaliser la diffusion "malveillante" d'images des forces de l'ordre.

Article original publié sur BFMTV.com