Enseignement : quelles stratégies pour durer dans le métier ?
Très régulièrement nous assistons à une frénésie de discours sociaux, politiques et médiatiques autour de sujets scolaires volontiers clivants – l’uniforme en est un exemple – dont le point commun est de considérer l’école comme la cause et/ou la solution à de nombreux problèmes non pris en charge par ailleurs.
Souvent empreints d’urgence, de simplisme et invitant à la surenchère de réformes, ces discours s’accordent mal avec le temps long de l’apprentissage des élèves et la nécessaire sérénité de l’enseignement. Ils écrasent aussi toute possibilité de comprendre les difficultés selon différents facteurs et d’exprimer les réussites pourtant présentes dans les établissements.
Concernant les enseignants, le discours prégnant pointe un métier dégradé et usant. Trois causes principales sont identifiées par les acteurs et par la recherche :
le sentiment d’échec à ne pas faire réussir tous les élèves aux profils de plus en plus hétérogènes ;
les incertitudes liées à l’évaluation de leur travail et à sa reconnaissance aussi bien à l’interne qu’à l’externe du système scolaire ;
la porosité entre la vie professionnelle et la vie personnelle, en raison d’une part invisible du travail en dehors des heures de classe.
Aussi, depuis plusieurs années, la recherche en éducation, en particulier le laboratoire Éducation Cultures politiques, a pour objectif, d’une part, de comprendre le travail enseignant comme une activité située, c’est-à-dire liée à des contextes et des prescriptions multiples (du local à l’international), et d’autre part, de l’étudier selon différentes temporalités et caractéristiques sociodémographiques – en se centrant par exemple sur les débuts ou les fins de carrière, les trajectoires de reconversion, ou encore la féminisation du métier.
Routine, nouveaux objectifs et posture critique
Les résultats montrent que les parcours d’enseignants sont rythmés par des alternances de dynamiques professionnelles (exploration, développement, remise en question, désengagement, réengagement, etc.) rendant caduque l’idée, pourtant fréquente, d’un groupe professionnel homogène.
Plus précisément, deux enquêtes – l’une intitulée Durer dans le métier d’enseignant, l’autre centrée sur les carrières en lycée professionnel – établissent que les enseignants qui déclarent durer de façon satisfaisante selon eux, dans un métier jugé pourtant de plus en plus difficile, s’appuient sur cinq stratégies majeures, plus ou moins conscientisées.
D’abord ils ou elles cultivent une posture critique et réflexive vis-à-vis des prescriptions et à l’égard de leurs propres pratiques (l’articulation des deux éléments étant le point central), ce qui ne se traduit pas par un désengagement mais plutôt par une affirmation de valeurs, un gain d’autonomie et d’efficacité.
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Ensuite, ils ou elles agissent avec et contre la routine professionnelle, qui est à la fois une ressource nécessaire pour développer sa professionnalité mais aussi un empêchement dans la durée pour évoluer. Ils questionnent par exemple certains aspects de la forme scolaire traditionnelle comme la dimension magistrale des cours ou l’évaluation par les notes. Ils invitent aussi à revoir certaines organisations de travail locales sclérosées, en réaménageant les salles de classe et les emplois du temps pour favoriser la coopération et dépasser le cloisonnement disciplinaire.
Troisième stratégie : ils ou elles construisent des sources de reconnaissance multiples et régulières, autant symboliques que fonctionnelles (sur lesquelles nous revenons dans la dernière partie de cet article), souvent entre pairs choisis et/ou en dehors de la sphère professionnelle immédiate, mobilisant également en ces circonstances des ressources personnelles importantes (soutien familial, implications associatives, etc.).
Quatrième stratégie : ils ou elles mettent en place des stratégies de préservation de soi (souvent de façon transitoire, parfois durablement), par exemple en choisissant certains niveaux d’enseignements, en déclinant certaines responsabilités, en renforçant l’autonomie des élèves ou bien en ayant recours au temps partiel. Cela contribue à une réappropriation des temporalités de vie dans une visée d’équilibre.
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Enfin, ils ou elles demeurent en quête de nouveaux objectifs c’est-à-dire que, ne se réfugiant pas dans un discours nostalgique sur l’école, ils n’hésitent pas à se mettre à l’épreuve pour expérimenter, pour faire évoluer certaines pratiques professionnelles au sein ou en dehors de classe. Cela peut également se traduire par un changement de poste ou de fonction, nécessitant parfois – nouveau défi – une reprise d’études ou la préparation d’un concours.
Favoriser les espaces de discussion et de coopération
Parmi les ressources évoquées, l’appartenance à des collectifs de travail choisis et/ou la coopération autour d’un projet ou dispositif commun (y compris dans le cadre de la formation continue institutionnelle) semblent décisives pour se réassurer dans le métier, voire se développer.
En ce sens, expliquer à autrui – un co-enseignant, un formateur ou un étudiant stagiaire – ses choix et ses interrogations pédagogiques est l’occasion d’une réflexivité et d’une reconquête de sens, au même titre que l’accompagnement d’un pair et de sa pratique. Des expériences personnelles significatives (difficultés scolaires de son propre enfant, première carrière en particulier pour les enseignants de la voie professionnelle scolaire, pratiques éducatives culturelles ou sportives, etc.) contribuent également à repenser son engagement et sa pratique de l’enseignement.
Pour qu’une dynamique vertueuse de développement professionnel s’enclenche, il faut que soient rendus possibles des espaces de discussion et d’élaboration sécurisés (au sens de bienveillants, avec un protocole précis, animés par des personnes formées). C’est, à cet endroit, un enjeu fort pour l’institution, les organisations professionnelles, les mouvements pédagogiques, la communauté scientifique. Cela permet de revisiter les expériences réussies ou difficiles, de traduire et d’adapter les prescriptions en situation, de faire circuler des savoirs de métier et des savoirs scientifiques.
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Cela passe assurément par le développement des compétences d’accompagnement, comme c’est le cas par exemple avec des dispositifs d’analyse de l’activité enseignante ou d’expérimentation guidée. Il est possible aussi de prendre appui, pour les différents acteurs, sur le vécu de la formation initiale, souvent décriée mais finalement en avance sur ces dimensions, se heurtant ensuite à une frilosité culturelle de l’institution et du groupe professionnel quant à ces pratiques.
Redonner du sens à l’enseignement passe par (re) faire parler le métier et le travail, afin de se départir de conceptions erronées (« l’enseignant seul dans sa classe », « une profession uniforme », etc.), pour que de ces délibérations (re) naissent une activité bien vivante.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.
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