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Enseignement à distance à l'université: le risque du décrochage

Un amphithéâtre de l'Université de Rouen-Normandie à Mont-Saint-Aignan en octobre 2017 (photo d'illustration).
 - Charly Triballeau
Un amphithéâtre de l'Université de Rouen-Normandie à Mont-Saint-Aignan en octobre 2017 (photo d'illustration). - Charly Triballeau

Alors que la rentrée universitaire a eu lieu dans un contexte sanitaire inédit, les prochains mois ne s'annoncent pas plus simples pour les étudiants, déjà à cheval entre présentiel et distanciel. À partir de ce mardi, dans les zones d'alerte renforcée et maximale, les salles de classe et amphithéâtres des universités ne pourront être remplis qu'à 50% de leur capacité d'accueil.

"C'est un peu étrange comme rentrée"

Léa*, 18 ans, est en première année de sciences sociales à l'université Paris-Nanterre. L'étudiante, qui vit en Seine-et-Marne, a découvert les locaux lundi et n'en est donc qu'à son troisième jour de cours sur place.

"La promotion a été divisée en deux groupes, raconte la jeune femme à BFMTV.com. Le premier a eu cours en présentiel la semaine du 28 septembre. Et le second, dont je fais partie, a commencé en distanciel. C'est un peu étrange comme rentrée."

Sans compter que certains de ses cours qui devaient se tenir en présentiel ont tout de même lieu en ligne. "On sent les enseignants un peu perdus sur les questions d'organisation, ce n'est pas rassurant. Et ils ne savent pas du tout comment se passera le deuxième semestre." Au programme de cette première année: anthropologie, sociologie, psychologie ou encore initiation à l'enquête, autant de nouvelles matières qu'elle n'avaient jamais abordées auparavant.

"C'est un peu difficile de suivre à la maison, reconnaît Léa. On est vite dispersé, il y a du bruit, parfois ça bugge ou il y a des problèmes de connexion. On n'entend pas toujours bien ce que disent les professeurs, et puis ne travailler que sur l'ordinateur, jamais sur papier, ce n'est pas agréable. Ce n'est pas la rentrée dans le supérieur que j'espérais."

Difficile aussi de faire connaissance avec ses camarades de promotion, qu'elle croise peu. Mais ces derniers échangent tout de même via des groupes Whatsapp. L'étudiante a ainsi réussi à se rapprocher d'une étudiante qui habite une ville voisine de la sienne.

Difficultés "démultipliées"

"La rentrée a été très difficile", déplore pour BFMTV.com Mélanie Luce, la présidente de l'Unef. Elle qui dénonce régulièrement les amphithéâtres surchargés, la précarité étudiante et le manque d'accompagnent des primo-entrants, regrette que des moyens plus conséquents n'aient pas été spécifiquement débloqués cette année.

"Ceux et celles qui entrent à l'université découvrent l'enseignement supérieur et de nouvelles pédagogies dans des conditions dégradées. Les difficultés sont démultipliées."

C'est pour cela que la présidente de ce syndicat étudiant aurait souhaité que des cours de remise à niveau soient proposés massivement et que le tutorat soit plus largement étendu, afin d'accompagner les étudiants qui en ont le plus besoin. "La rentrée n'a pas été assez anticipée et les étudiants en paient les pots cassés."

Priorité sur les primo-entrants

Ce que conteste Olivier Laboux, vice-président de la Conférence des présidents d'université (CPU). "Tout le monde est d'accord pour accompagner en priorité les primo-entrants et les étudiants les plus fragiles avec les moyens que l'on a", assure-t-il à BFMTV.com. Il rappelle ainsi que la réduction de 50% des effectifs en présentiel ne signifie pas pour autant la moitié des cours sur place, l'autre à distance.

"C'est une nouvelle jauge qui permet de se focaliser sur ceux qui viennent d'arriver. L'université, c'est bien plus varié que l'image caricaturale que l'on a des grands amphithéâtres. Certains établissements ont développé le tutorat, d'autres ont ciblé les moyens 'oui, si' (de la remise à niveau pour les bacheliers, NDLR) sur les primo-entrants."

Huit heures en présentiel

Geoffroy*, 18 ans, est en première année à l'Institut d'études politiques de Paris. L'établissement vient tout juste de rouvrir après deux semaines de fermeture - une quarantaine de cas positifs de Covid-19 avaient été détectés. Le jeune homme sera, comme tous les autres élèves de sa promotion, une semaine sur deux en présentiel, l'autre en distanciel. Mais sur cette semaine de présentiel, il n'aura que huit heures de cours sur place - un cours magistral et trois TD - le reste se faisant tout de même en ligne.

"Et encore, j'ai eu de la chance, témoigne l'étudiant, membre de l'Unef, à BFMTV.com. J'ai eu une semaine de cours en présentiel depuis la rentrée, étant en semaine A. Avec la fermeture, les élèves en semaine B n'ont pas encore eu de cours sur place. Il y a des camarades que j'ai découverts sur Zoom."

Il raconte avoir déjà passé plusieurs heures d'affilée derrière son ordinateur à enchaîner les cours. Un enseignement à distance qui a ses limites, selon lui. "Rien que pour le moral, c'est dur, poursuit Geoffroy, qui habite Paris. Il y a des élèves particulièrement isolés, d'autres qui viennent de province et se demandent pourquoi payer un loyer à Paris pour finalement rester sur leur ordinateur."

La fracture numérique

Une répartition entre présentiel et distanciel loin d'être idéale, pointe encore Mélanie Luce, de l'Unef, pour qui le 100% présentiel devrait être la règle pour tous. Ce qui devrait passer selon elle par la division des effectifs en petits groupes et un étalement des cours sur des plages horaires plus larges. Chose "impossible sans moyens supplémentaires", regrette-t-elle.

"Le problème, c'est que la qualité de l'enseignement en distanciel varie d'un établissement à l'autre selon leur budget. Et on le sait: 10 à 15% des étudiants n'ont pas d'ordinateur ou d'accès à Internet."

Olivier Laboux, de la CPU, explique pourtant que les établissements ont fait tout leur possible pour répondre au problème de la fracture numérique. "L'université de la Rochelle a contacté tous ses étudiants, celle de Nantes a envoyé 37.000 SMS pour identifier ceux en difficulté. Ce ne sont que deux exemples, il y en a d'autres." Et d'ajouter que des clés 4G et des ordinateurs ont été prêtés. "La réponse n'a sans doute pas été parfaite, on n'est peut-être pas allés assez vite et on n'a peut-être pas pu fournir tout le monde, mais la démarche est là."

Une précarité étudiante "inédite"

Paul Mayaux, le président de la Fage, craint pour sa part une augmentation du décrochage universitaire et un renforcement des inégalités sociales. Selon un sondage Ipsos commandé par cette même organisation étudiante, huit étudiants sur dix ont déclaré que le confinement avait provoqué un décrochage dans leurs études. Ce qui pose particulièrement problème pour les primo-entrants. Comme le rappelle le ministère de l'Enseignement supérieur, c'est en première année de licence que le redoublement et l'abandon sont les plus importants: près de 60% de ces étudiants ne passent pas en deuxième année.

"Les néo-bacheliers ont connu une année de terminale difficile, confie Paul Mayaux à BFMTV.com. L'entrée dans le supérieur, c'est un rite de passage. Là, ils n'ont même pas le temps de s'imprégner. C'est difficile car en plus de leurs interrogations sur la continuité pédagogique, il y a tous les à-côtés de la vie étudiante, la socialisation, les difficultés pour se loger, pour s'alimenter correctement. En parallèle du risque de décrochage, il y a un véritable sentiment de mal-être."

Et selon lui, la précarité étudiante est cette année "inédite". Un sondage Ipsos réalisé pour la Fage conclut que 72% des jeunes exerçant une activité professionnelle ont vu leur activité salariale impactée, réduite ou interrompue après le confinement. Ce qui, selon lui, "nourrit un peu plus le risque de décrochage".

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Article original publié sur BFMTV.com