Enquête russe: Trump refuse de déclassifier une note de synthèse démocrate

par Ayesha Rascoe et Patricia Zengerle

WASHINGTON (Reuters) - Donald Trump a refusé vendredi d'autoriser la publication en l'état d'un document confidentiel rédigé par des élus démocrates en réfutation d'un mémo républicain mettant en cause l'attitude du FBI et du département de la Justice dans l'"enquête russe", dont le président américain a validé la diffusion il y a une semaine.

Dans une lettre adressée au président de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants, le conseiller juridique de la Maison blanche précise que Trump s'y oppose à ce stade "parce que ce mémorandum contient de nombreux passages justement classifiés et particulièrement sensibles".

Don McGahn ajoute que le président invite la commission du Renseignement à revoir cette note en coordination avec le département de la Justice afin d'en éliminer les passages posant des risques potentiels "pour la sécurité nationale et l'intérêt du respect de lois".

La Maison blanche, dans une lettre parallèlement adressée au directeur du FBI, Christopher Wray, et au n°2 du département de la Justice, Rod Rosenstein, mentionne "la protection des sources et des méthodes du renseignement, des enquêtes en cours et d'autres informations sensibles similaires".

La commission du Renseignement présidée par le républicain Devin Nunes avait accepté en début de semaine la diffusion du document de dix pages rédigé par des élus démocrates, mais le feu vert avant sa publication dépendait de Trump.

"Des millions d'Américains se posent une seule question: que cache-t-il ?", a réagi le chef du groupe démocrate au Sénat, Chuck Schumer. "Quand il s'agit de transparence, la politique du deux poids, deux mesures du président est consternante."

POURQUOI CE MÉMO ?

Le mémo des élus démocrates de la commission est une réplique à la note rédigée par des élus républicains dont le président américain a autorisé la déclassification le 2 février dernier, se disant "totalement innocenté" par son contenu et s'en prenant au FBI, accusé de "politiser" l'enquête russe dans un sens favorable au camp démocrate.

Le texte républicain accuse le FBI et le département de la Justice (DOJ) de parti pris dans l'enquête sur une possible ingérence russe dans l'élection présidentielle de 2016 et une éventuelle collusion entre l'équipe de campagne de Trump et Moscou.

A l'appui de ses "inquiétudes sur la légitimité et la légalité" de certains actes du FBI et du département de la Justice, le document de quatre pages affirme que le FBI et le département de la Justice ont omis de fournir tous les éléments au juge saisi en octobre 2016 pour obtenir la mise sur écoute de Carter Page, consultant spécialisé sur le secteur pétrolier et ancien conseiller de campagne de Trump.

Il relève que cette requête puis les demandes de renouvellement étaient fondées sur le rapport rédigé par un ancien agent du renseignement britannique, Christopher Steele, financé en partie par le Comité national du Parti démocrate et par l'équipe de campagne d'Hillary Clinton, éléments dont le juge n'a pas été informé.

Trump a autorisé sa déclassification en dépit des objections publiquement exprimées par le FBI, qui avait relevé des "omissions de faits matériels" ayant des retombées sur son "exactitude".

La commission du Renseignement de la Chambre des représentants est l'une des trois commissions parlementaires qui enquêtent sur une possible ingérence de la Russie et une éventuelle collusion avec l'équipe de campagne de Trump, parallèlement aux investigations du procureur spécial Robert Mueller.

POURQUOI CETTE GUERRE DES MÉMOS ?

Le camp démocrate redoute que le mémo républicain ne soit un outil conçu pour affaiblir précisément les investigations de Robert Mueller et la position de Rod Rosenstein, l'Attorney General (ministre de la Justice) adjoint qui l'a nommé en mai 2017 et supervise son enquête.

Rosenstein est nommément cité dans le document républicain déclassifié, de même que James Comey, l'ancien directeur du FBI brutalement limogé par Trump en mai 2017.

Les affirmations du mémo républicain, estime l'opposition, pourraient offrir au président républicain un prétexte pour limoger Rosenstein, voire Mueller.

"Nous pensons que notre document contribuera à informer l'opinion sur les nombreuses distorsions et inexactitudes du mémo de la majorité (républicaine)", expliquait en début de semaine Adam Schiff, principal représentant démocrate siégeant à la commission du Renseignement.

ET MAINTENANT ?

Sans surprise, Adam Schiff a déploré la décision de Donald Trump, la mettant en miroir avec son arbitrage inverse rendu une semaine plus tôt sur le mémo préparé par le président républicain de la Commission, Devin Nunes.

"Après avoir ignoré les exhortations du FBI et du DOJ à ne pas publier le mémo fallacieux de Nunes parce qu'il omet des faits matériels, le président des Etats-Unis exprime aujourd'hui ses inquiétudes sur la diffusion de ces faits auprès de l'opinion et tente de le renvoyer à cette majorité qui a produit le mémo lacunaire de Nunes", a-t-il commenté sur Twitter.

Schiff ajoute qu'il va se rapprocher du département de la Justice et du FBI pour examiner les révisions recommandées par la Maison blanche.

"Un innocent ne bloquerait pas ce mémo", a surenchéri un autre élu démocrate, Ted Lieu, se disant désormais convaincu que le 45e président des Etats-Unis "cache intentionnellement des informations importantes afin de tromper l'opinion".

Dans l'intervalle, cette "guerre des mémos" freine les investigations de la commission du Renseignement sur l'affaire russe.

(avec Eric Beech Henri-Pierre André pour le service français)